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    Lorsque l’on prend la posture du guetteur, tous les muscles s’unissent pour tendre le corps en appui sur les orteils au-dessus du sol : distance et contact au sol, pour trouver la respiration juste, symbolisent l’effort du yogi. L'appui sur les bras réussi est maîtrise de soi et libération, Nous plantons nos orteils dans le sol et nos mains prennent appui de part et d'autre du buste : nous les posons à plat, un peu plus large et un peu plus bas que les épaules, au niveau des hautes côtes. Certains préfèrent les placer au niveau des épaules. Nous inspirons sans bouger et sur un expir nous repoussons le sol avec nos mains jusqu'à avoir les bras tendus de sorte à obtenir de notre dos une ligne droite et ferme des talons jusqu'à la nuque.

    Nous voilà face au sol, en appui sur les deux bras. Nous veillons à garder notre nuque dans le prolongement de notre dos, notre visage ne monte pas vers le ciel et ne plonge pas vers le sol.

    La ceinture scapulaire " l'ego "

    C'est l'effort que nous exigeons de notre ceinture scapulaire qui retient en premier notre attention.

    Or s'il est une région de notre corps où la tension soit habituelle, c'est bien celle-ci. Tout se passe comme si cette ceinture était sous tension jour et nuit, il est rare que nous parvenions à y retrouver une détente vraie et durable. On pourrait penser que dans ces conditions, cette région devrait être très développée, forte, capable de produire un effort puissant et prolongé. Or il n'en est malheureusement rien (sauf probablement chez quelques sportifs qui cultivent cette partie de leur musculature) nous notons au contraire une alliance de tension et de faiblesse.

    Et c'est le signe tangible d'une réalité psychologique fondamentale : toute tension fausse se traduit par une faiblesse. Ce qui reste indéfiniment tendu dans nos épaules, ce ne sont pas seulement nos muscles, c'est notre personne, notre système nerveux, nos angoisses.

    Nous disons que cette tension est " fausse " parce qu'elle n'est exigée ni par l'action à faire ni par le résultat à produire, elle ne provient que de notre anxiété, elle n'est qu'un symptôme d'une difficulté psychologique.

    La ceinture abdominale le " hara "

    L'effort du guetteur est tout aussi intense au niveau de la ceinture abdominale. Il ne suffit pas que les bras tendus maintiennent nos épaules et notre thorax à une certaine distance du sol, il faut encore combattre la propension de notre abdomen à s'alourdir vers le sol et à entraîner une cambrure lombaire à laquelle nous ne sommes que trop enclins. Il arrive fréquemment, il est vrai, que le souci de soulever l'abdomen conduise au contraire à soulever les fesses vers le plafond. Toute perte d'identité, tout manque de confiance en soi vident notre centre vital de sa force. Trop de gens vivent à longueur d'année avec un ventre désespérément mou et des épaules désespérément dures ! Ce n'est pas tant une question de kilos en trop dans nos viscères, c'est plutôt notre attitude intérieure vis-à-vis de nos devoirs à accomplir, de nos obstacles à franchir et de nos luttes en général. Il nous faut faire un effort pour tenir notre abdomen et décambrer nos reins et cet effort ne doit pas contrarier la justesse de notre geste respiratoire, alors que celui-ci doit trouver sa place précisément dans le centre vital. L'effort au niveau des épaules contrarie la respiration haute, l'effort au niveau de l'abdomen contrarie la respiration abdominale.

    La pratique permettra de découvrir qu'il est possible de maintenir une respiration juste et paisible au sein même d'un effort important de la ceinture abdominale.

    L'entraînement postural est nécessaire, bien sûr, mais c'est surtout l'apaisement dans la tête qui importe.

    Retrouver notre autonomie respiratoire au sein de notre effort, c'est éprouver cette liberté en acte. […]

    Distance et union

    Le yogi en appui sur les bras se donne pour tâche de se tenir à distance du sol, ni trop, ni trop peu. Et cette distance, pour être et rester juste, exige de lui un effort soutenu. Cet effort est un engagement de tout son être, il est une application dans ce cas particulier d'un cas de figure très général : les êtres et les objets avec lesquels je suis en relation doivent être tenus à la distance juste. Trop près, c'est la confusion et le manque de liberté ; trop loin, la relation se distend et se perd, je reste dans ma solitude. L'art de la relation juste, c'est l'art de la distance juste. Pour trouver la distance juste, il est absolument nécessaire de garder le contact. Les arts martiaux nous offrent d'excellents exercices pour maintenir un contact dans lequel on ne saisit pas et on n'est pas saisi.

    Si mes mains se refermaient sur la prise de mon partenaire, je ne pourrais plus le lâcher sans risquer de prendre un coup et par conséquent je deviendrais prisonnier de ma prise. Mais si je maintiens un contact dans lequel je ne saisis pas, je contrôle la situation tout en conservant ma liberté de mouvement. […]

     

    Bernard REROLLE

    Extrait de la Revue Française de Yoga - Juillet 1997


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    ...   dans les postures en rotation


    GENERALITES
    ASPECT PHYSIQUE
    C'est essentiellement au niveau de la colonne vertébrale que s'effectuent les torsions, telles qu'on les entend dans la pratique courante. On assiste à des rotations suivant des angles variables, intéressant différents segments de la colonne vertébrale. De ce fait, une attitude consciente est exigée, afin de localiser les lieux où s'appliquent les forces de torsion, en vue d'éviter toute maladresse. En effet, l'absence de contrôle entraîne des contraintes insupportables et même dommageables pour certains segments vertébraux. Sont particulièrement visées les deux zones cervico-dorsale et dorso-lombaire. De plus, pour satisfaire aux exigences de la mécanique appliquée à l'anatomie, toute tentative de rotation du tronc doit s'accompagner d'un redressement de la colonne. Effectuer la torsion d'un matériau en arc de cercle revient à accentuer sa courbure. La colonne vertébrale, tissu vivant, obéit à cette loi.
    En outre, le bassin reste particulièrement impliqué dans toute posture de torsion comme base d'appui dans les départs assis et, dans la plupart des cas, comme point fixe à partir duquel s'organise la rotation du rachis. Une pratique convenable devrait prendre en compte une préparation libérant les tensions localisées dans cette région.
    Espace entre bassin et thorax : la taille, partie molle, si l'on n'y prend garde, tend à se tasser sur elle-même. Elle doit donc faire l'objet d'une attention particulière lors de la prise de posture, afin de conserver un positionnement correct au niveau lombaire. Cette région joue en effet un rôle énergétique important, comme nous le verrons plus loin.
     ASPECT ENERGETIQUE
    Tout changement d'attitude par rapport à la symétrie modifie les échanges énergétiques à l'intérieur du corps. La dissymétrie d'une posture favorise une ouverture ou bien une fermeture de chaque hémithorax, influençant ainsi la polarité respiratoire au niveau des narines, et modifie également la circulation dite "méridienne". Si ces phénomènes passent inaperçus dans la vie courante, la pratique du yoga mobilise l'attention particulièrement au niveau des narines, suivant le principe universel "qui place la circulation d'Energie sous le contrôle de l'activité consciente".
    En ce qui concerne le mode respiratoire dans la posture, deux attitudes différentes peuvent être envisagées :
    - l'attitude réceptive : dans une attitude de "témoin", on s'efforce d'observer l'incidence de la posture ou de l'exercice effectué sur le passage du souffle dans les narines, ceci sans chercher à modifier le résultat. La polarité constatée résulte alors de la posture elle-même... et de notre état de réceptivité.
    - l'attitude directive : dans ce cas, nous mettons en jeu notre qualité d'attention pour entretenir une polarité respiratoire qui, à son tour, devrait favoriser l'attitude posturale. Il est possible, suivant le type de posture et le degré d'entraînement, de pratiquer la respiration alternée par le seul déplacement de la conscience d'une narine à l'autre, ou bien une respiration polarisée unidirectionnelle.
    En outre, suivant les canons de l'énergétique orientale, la respiration ainsi modifiée est un épiphénomène de la circulation d'Energie, telle qu'elle est modifiée par la posture. Cette circulation sera favorisée par l'action du regard intérieur se déplaçant sur ces trajets, en liaison avec le contrôle du souffle, réalisant, suivant le cas, une tonification ou une détente neuro-musculaire. L'importance de la conscience au niveau de la taille, qui contribue à conserver une attitude correcte, trouve également son écho sur le plan énergétique. En effet, la taille est enserrée par le vaisseau ceinture dai mai. Ce vaisseau encercle tous les méridiens comme "l'attache d'un fagot", avec l'incidence sur les énergies d'organes : rein, vésicule biliaire et estomac. "Elle influence le dynamisme du diaphragme lié à l'ajustement entre énergie et sang", selon le Docteur Yves Réquena. D'autre part, pour la tradition indienne, la torsion va impliquer les deux nâdî, idâ et pingalâ, s'enroulant autour de la colonne vertébrale - du périnée jusqu'au sommet du crâne pour ressortir par chaque narine. Ces deux nâdî, de polarité opposée : idâ symboliquement lunaire et pingalâ solaire, véhiculent les courants d'énergie vitale. Enfin, quelle que soit la référence théorique sur laquelle se base notre pratique, nous devons garder à l'esprit que le corps physique est le lieu de la transformation de l'être sur le chemin de l'évolution et la respiration consciente, son moteur. Suivant ce point de vue, toute pratique sincère et persévérante portera ses fruits.


    Rémy Chaloin
    Revue Française de Yoga - Juillet 1993


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    … ou fruit longtemps mûri

     

    Qui dit équilibre, parlant de l’homme vivant, dit mouvement, gestes, attitudes. Il y a longtemps que les grandes traditions spirituelles ont pris conscience que nos gestes et attitudes constituent un miroir, le miroir le plus véridique de nos états intérieurs, conscients et inconscients. Et elles s’en servent comme instruments d’acquisition de la sagesse. L’équilibre n’est jamais donné d’emblée.


    L’équilibre est éphémère et capricieux

    Tous ceux qui pratiquent le yoga, les arts martiaux, la cérémonie du thé et tant d’autres disciplines psychocorporelles, savent ce que c’est que de recommencer mille et mille fois le même geste : l’apprentissage parait désespérément long, les progrès peu perceptibles, quand ce n’est pas bien souvent l’impression de régresser ! Et puis un jour, on s’aperçoit qu’en restant sur la configuration extérieure du geste, nous regardions du mauvais côté. Car pendant tout le temps de l’apprentissage, c’est notre être intérieur qui a évolué. Et c’est parce que cet être intérieur a évolué que notre geste finit par évoluer à son tour. La progression finit par s’inscrire visiblement dans nos évènements. Cette variation peut d’ailleurs aller dans les deux sens, car le malheur veut que nous soyons tout aussi capables de régresser que de progresser et que la désorganisation de notre être intérieur, toujours possible, entraîne la désorganisation de nos gestes, même s’ils étaient devenus très habiles.

    Le geste du thé, celui de la danse, etc.… sont éphémères par nature. Il faut être là au bon moment pour les recevoir, comme il faut être présent au bon moment pour les accomplir.

    La grâce n’est pas toujours au rendez-vous ! Chaque geste, si appliqué soit-il, peut apporter un élément de surprise, en bien ou en mal. En bien, c’est l’étonnement, en mal, c’est l’irritation !

    Au cours de nos pratiques de yoga, nous avons connu quelques « moments étoilés » comme les appelait Dürckheim. Au cours de nos exercices de calligraphie, nous avons vu naître sous notre pinceau quelques superbes caractères chinois, quelques superbes bambous … autant de petits cadeaux qui nous ont consolés de beaucoup de déboires. Notre vie quotidienne aussi se trouve jalonnée de quelques rencontres réussies, de quelques moments de contemplation affectés d’un coefficient de plénitude. Tout se passe comme si, en récompensant nos efforts à des moments inattendus, ces petits cadeaux nous étaient donnés pour encourager notre persévérance « sur la Voie ». Ils n’étaient sans doute pas spectaculaires. C’étaient des cadeaux très subjectifs, très personnels : il est presque impossible de les communiquer, de les faire partager à notre entourage. Et pourtant, ils enracinent en nous le sentiment que nous avançons dans la bonne direction. Même s’il est fragile, c’est à ce sentiment de certitude que j’aimerais donner le nom d’équilibre. Dürckheim donnait le nom de « petite voix » à cette réalité ténue et fugitive.

     

    Bernard Rerolle

    Extrait tiré de la Revue Française de Yoga – Juillet 1991


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