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    A la dilatation   

     

    Le yoga a trait à l’homme et à sa propre histoire dans l’évolution du monde. Né en Inde il y a environ 4000 ans, il est surtout dans son essence le fruit d’une longue observation empirique, précise et minutieuse de l’homme par l’homme dans sa globalité. Ce mot sanskrit est dérivé de la racine « YUJ » qui signifie « joindre, mettre ensemble ». La forme la plus répandue en occident en est le hatha-yoga, soit l’union du soleil (ha) et de la lune (tha), rendant les opposés complémentaires.

    Voilà d’emblée poser son propos : réconcilier ce qui semble être aux antipodes. Il va à l’encontre d’une tendance de notre société actuelle encline à cloisonner, diviser, zapper à l’envi et qui finit souvent par s’égarer à tant vouloir se morceler ; voire à déraper à tant vouloir se précipiter. Il crée du lien en tissant ensemble l’intellect et l’affect, le féminin et le masculin en une « belle et bonne étoffe de vie » dirait Rabelais.

    Qu'est-ce qui nous permet de vivre, de nous relier à l’univers ? Le corps. C’est lui notre champ d’expérience sensorielle, c’est avec lui et par lui que nous découvrons le monde qui nous entoure. Alors une évidence se dessine. La pratique du yoga va consister, en le mettant au centre, à harmoniser le travail de ce corps avec ce qui l’anime – le souffle - et avec ce qui le guide – le mental – afin de réunifier l’être humain que nous sommes. Tout se joue là. La respiration va s’adapter au mouvement et l’accompagner tandis que l’attention portée au geste et au souffle sera maintenue constamment.

    Ces trois facteurs, le geste, le souffle et l’attention, travaillés ensemble pendant une heure ou plus, permettent le recentrage, cette présence à ce que nous sommes et à ce que nous faisons dans une simplicité d’écoute et un accueil des sensations éprouvées pendant la séance. Mais tout cela ne se fait pas dans le désordre si j’ose dire. L’intelligence, la richesse et la subtilité du yoga se rejoignent dans la proposition structurée d’une progression dans la pratique et d’une intention donnée à cette expérience.

    De fait, cette tradition est construite, précise, réfléchie, élaborée… Elle est le fruit d’une longue chaîne de transmission. Elle en a la solidité et le poids. Deux maîtres-mots vont être les piliers de cette architecture : l’aisance et la fermeté. Et la pierre angulaire en sera la lenteur.

    La pratique et la transmission du yoga nécessitent aussi un engagement, et la force de s’y tenir. D’une certaine façon, nous nous inscrivons dans une histoire, à mille lieues d’une simple anecdote. De l’histoire de chacun, mais aussi de l’histoire de l’humain et même au-delà, de l’histoire d’une lointaine humanité.

    … Le mouvement va devenir un geste, dans tous les sens du terme, puisqu'il est porté par le souffle et habité d’une intention de présence à l’instant. La routine nous quitte, la vigilance s’installe maintenue par la juste position du corps et vivifiée par le rythme du souffle. La lenteur s’inscrira d’abord dans le temps de l’expiration : créer le vide pour agrandir l’espace intérieur afin de recevoir dans l’aisance. En inspirant, j’accueille le monde extérieur en moi-même : en expirant, je redonne de moi-même au monde extérieur. Précieux échange, inlassablement offert à la vie.

    Avec le souffle, l’intimité de notre relation au monde est à l’œuvre. Il sculpte nos espaces intérieurs comme le vent les pierres du désert… Et le temps ainsi rythmé va permettre d’établir une alternance dehors-dedans, mais aussi une différence et une distance. Il ajoute du nouveau à l’être car en séparant il permet de distinguer la sensation inhabituelle, le souvenir qui remonte, l’émotion qui gagne.

    Il ouvre un nouveau champ de conscience qui est la connaissance de soi. L’observation et l’accueil des sensations sont la clé de voûte de l’édifice. Les temps de suspension dans le travail respiratoire comme les temps de repos entre les postures sont des moments de silence et d’écoute. La possibilité de l’émergence d’un nouveau regard, quel qu’il soit, est offerte.

    École d’humilité, de persévérance, le travail régulier sur un tapis de yoga nous ramène sans cesse à la fragilité et à l'impermanence, de ce que nous avions atteint la veille dans une posture. Et à la fois, l’émerveillement d’une possibilité nouvelle ouverte par le souffle ce jour-là, même si les muscles qui semblaient étirés et déliés hier se révèlent raides, raccourcis et récalcitrants. Accueillir ce qui est, sans a priori. Être témoin, sans jugement. Accepter de se laisser surprendre par la nouveauté, l’inattendu, l’inouï. Quel beau mot, inouï ; ce qui n’a pas été encore entendu. Se mettre à l’écoute de l’incroyable qui porte en germe l’ouverture à un autrement. L’horizon s’agrandit.

    Le yoga s’est cela : un regard porté sur le monde, un darshana comme le nomme la philosophie indienne.

     

    Isabelle Morin-Larbey

    Extrait de la Mémoire et le Souffle

     


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