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    Dans le premier verset de la Hatha-Yoga Pradîpikâ, le commentaire du 17ème verset présente le rôle essentiel de la pratique posturale. Sa nature est de réduire les oppositions des énergies intérieures (les gunas tamas et rajas) et d’amplifier la pureté, l’intelligence et la luminosité propre à chacun (le guna sattva). Pour favoriser cette réalisation, le yogi, grâce à sa pratique, doit accroître en lui certaines qualités dont la première est utsaha, l’énergie de la vigilance, de l’enthousiasme (H.Y.P. I,16). 

     

    Cet état de vigilance est la source de progression du discernement, libérateur des confusions. Dans le cadre de notre pratique contemporaine du hatha-yoga, nous pouvons attribuer une double fonction à l’état de vigilance, à la fois sociale et spirituelle. Lorsque l’Union Européenne de Yoga a été constituée, vers 1975, la charte de fondation précisait que la pratique du yoga était une réponse possible à la dispersion mentale accélérée vécue dans nos sociétés modernes. Aujourd’hui, le constat serait encore aggravé. Entre autres, la pression médiatique, l’usage intensif du portable, du zappage, les sollicitations visuelles et auditives incessantes de ceux qui nous abreuvent et nous conditionnent par la publicité, concourent à augmenter notre dispersion mentale. Celle-ci nous rend moins présents au monde, à la vie sociale, plus fragiles nerveusement et plus manipulables psychiquement. Le manque de vigilance organisé est une forme de souffrance (klesha) qui entretient la confusion.

    Heureusement, Patanjali nous affirme qu’il est possible d’inverser le processus, de réduire la souffrance à venir (Yoga Sûtras II,16), en cultivant notamment le discernement, la concentration qui redonne plus de présence à la vie, aux autres et qui développe l’écoute et l’ouverture du cœur. De son côté, en écho, le hatha-yoga prône l’évolution spirituelle du pratiquant, en enseignant notamment la concentration et la méditation vigilante dans le cœur (H.Y.P. I,48). Ce cheminement de la connaissance conjugue la grâce et l’action attentive, qui créent des conditions favorables à l’éveil intérieur. La faculté d’être en éveil de conscience s’exerce constamment grâce à l’acuité de la présence dans la vie quotidienne, depuis les perceptions les plus simples, jusqu’à la révélation de la profondeur subtile des choses. Cette capacité d’attention est un enthousiasme vigilant (utsaha) qui dans le hatha-yoga se développe avec des exercices physiques et psychiques, et intègre le corps dans une visée de libération spirituelle. Le corps devient ainsi le moyen concret, efficace, pour réaliser cet état de vigilance, source du discernement, afin de sortir des affres de la dispersion mentale. Pendant toute la séance, la qualité du souffle doit être maintenue comme une mesure constante de la justesse de l’effort du moment. Dans chaque exercice, le pratiquant s’applique à constamment respirer de manière lente, régulière et ample. Si le souffle devient plus court ou saccadé, c’est le signe qu'il y a trop de tensions, l’élève doit réduire l’intensité de l’effort engagé. Cependant, l’essentiel demeure dans les moyens (upâya) mis en œuvre par le pratiquant pour sans cesse relancer la vigilance. De cette façon, la pratique posturale du hatha-yoga fait du corps le lieu d’une alchimie intérieure. Cette transformation passe par le développement, de la vigilance, du discernement, en vue d’accéder à un éveil spirituel.
    L’authenticité et l’application de cet éveil se mesurent dans la vie quotidienne.

     

     

    Boris Tatzky

    Revue Française de Yoga – Juillet 2008

     


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    Mot magique qui promet la guérison des maladies de notre temps, le bien-être enfin retrouvé du corps et de l’esprit. Lâcher la prise que nous mettons sur le monde, sur les autres et sur nous–mêmes. Ramer à contre-courant de la propension à prendre conscience, prendre l’air, prendre la parole, prendre forme, prendre place.  

    Défaire le lien qui nous étouffe, car, prenant, nous sommes pris à notre tour par ce que nous prenons. Emprisonnés par ce rapport spontané de possession.
    La question du lâcher prise semble aussi vieille que l’humanité ; en tout cas, les grandes philosophies antiques en font déjà un sujet de méditation. Je ne mentionnerai ici que le yoga, qui, comme on sait, était une sagesse, une « voie de libération » plutôt qu’une gymnastique.
    Le texte de référence de cette voie, les Yoga Sûtra, aborde la question dès le début de son exposé.
    Parmi les comportements dont le futur yogi doit se défaire et parmi ceux qu’il doit adopter dès le début de la pratique, il me semble que plusieurs sont en lien avec ce que nous mettons sous les termes de « lâcher prise ».
    Le premier d’entre eux est la vertu majeure du yoga, celle qui ouvre le chemin :
    la non-violence, ahimsâ, un mot qui signifie littéralement « le fait de ne pas nuire ».
    Puis nous trouvons asteya, « ne pas s’approprier », et encore aparigraha, « ne pas (s’) agripper ».
    Et le dernier d’entre eux, îshvara pranidhâna, propose de « s’en remettre à plus grand que soi ».
    Progression remarquable. Ahimsâ, asteya, aparigraha sont tous trois des termes formés à partir du préfixe privatif sanskrit a- ; ils indiquent le fait de s’abstenir, de laisser, de lâcher. Quant au dernier, il dit quelque chose d’un peu différent, la « remise de soi » à un Autre. Ainsi les Yoga Sûtra tracent-ils un chemin qui va du lâcher prise à l’abandon.
    Ils insistent par ailleurs sur la décision qui préside à un tel choix. Le futur yogi doit cultiver une forme de tempérance ; il doit aimer l’intensité, l’ardeur brûlante. A ce prix, sa pratique lui obtiendra un corps et un esprit fermes, déliés, forts. Les Yoga Sûtra  nous disent très clairement que, sans volonté opiniâtre, il n’est pas de yoga, c’est à dire pas de voie de libération.
    Il y a donc un délicat équilibre entre « laisser » et « vouloir », mieux encore, une étroite corrélation, qui fonde la subtile progression du lâcher prise à l’abandon.
    Notre contexte contemporain diffère évidemment de celui des ascètes philosophes qui ont dessiné l’architecture du yoga.
    … Le message est à recevoir sans malentendu : acceptation n’est pas démission, lâcher prise n’est pas laisser aller. Mais c’est dans une certaine forme de faiblesse, là où la maîtrise vient à manquer, ne suffit plus pour avancer, l’acceptation apparaît comme une valeur spirituelle : quand on se démet des positions de toute puissance, qu’on se déprend d’attachements – d’ailleurs encombrants ou douloureux – pour accueillir une présence, une parole, un évènement dans la surprise de leur nouveauté. L’être humain apprend à se laisser faire par l’imprévisible de la vie. Et c’est alors qu’il découvre sa souveraine liberté.


    Ysé Tardan Masquelier
    Extrait de la Revue Française de Yoga – Juillet 2006


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