• L’intuition directe a toujours été la voie royale de la compréhension. La forme suprême de la Conscience ne peut être appréhendée avec les capacités limitées du mental, par celui qui d’image en image se perd dans la nuit.

    L’esprit mondain est dispersé, distrait. La pensée ne fait que paralyser la clarté. L’esprit s’éloigne car il ne peut atteindre la transcendance qui est au-delà de l’esprit. Si la tranquillité mentale est l’espace nécessaire, elle n’est pas suffisante. Quand le raisonnement atteint son ultime limite, et que l’évidence s’installe, l’agitation de l’esprit prend fin. La passion et la partialité de l’esprit individuel abdique dans le sans-penser.

    Ibn Arabi souligne que seule l’intuition crée le dévoilement. Pour ceux qui pensent que l’étude peut mener à la clarté, il souligne que la connaissance est initiatique, intensité, actualisée par la pratique, contrairement aux limites de la réflexion mentale. Comme Constantinople résista longtemps à la conquête islamiste, la cité de l’homme fait l’objet du grand jihad. Les sept murailles qui entourent la grande ville d’Ibn Arabi  sont symbole de l’activité mentale, défense envers la lumière. Plus la pensée se vide de substance, plus les murailles tombent jusqu’à la non pensée. Abhinavagupta fait la différence entre la connaissance non duelle qui est révélation, et l’intellectuelle, qui n’est que pensée.

    L’abandon du raisonnement de la réflexion intellectuelle va s’imposer dans  une écoute humble et sans attente. La pure observation éveillant la clarté, la non réactivité va dissoudre les tendances tamasiques et rajasiques. L’écoute s’ouvre à la forme spontanée du savoir, seule révélation de la science traditionnelle. Non seulement le pressentiment de l’essentiel s’installe dans cette tranquillité, mais également dans l’esprit alerte, la conscience du mouvement ascendant de l’énergie devient tangible, comme célébration de cette évidence. La recherche intellectuelle, quand elle vient du cœur, n’est cependant pas inutile. Dans certains cas, elle est préparation à la révélation intuitive, perspective de la direction non objective de la recherche. 


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    Je crois que c'est ce qui est difficile : arriver à perdre tous les concepts

    Éric Baret : Vous n'avez même pas à les perdre. Il y aura toujours des concepts. Mais vous n'êtes plus limité par eux.
    Ce que nous pensons l'un et l'autre de la vie sera toujours différent, lié à notre culture, à notre hérédité. Il y aura toujours des pensées. Mais, à l'instant où vous vous rendez compte que tout ce que vous pouvez penser est un préjugé, vous êtes libre de votre pensée, c'est-à-dire que vous n'abordez plus les situations en fonction d'elle. Je sais que mes opinions viennent de mes préjugés, de ce que j'ai lu, appris, entendu, pensé... Donc, si quelqu'un pense différemment de moi, cela ne peut plus être une cause de conflit pour moi. Je sais que si j'avais son hérédité, sa culture, son expérience, je penserais comme lui. Et s'il avait le même passé, la même hérédité, la même culture, la même expérience, le même mode de raisonnement que moi, il penserait comme moi. Nos deux opinions sont aussi nulles et aussi justes l'une que l'autre. Toutes deux sont inévitables. Les serpents voient le monde comme des serpents, les mangoustes comme des mangoustes. Il n'y a pas une vision qui soit plus juste que l'autre. Selon que vous avez été aimée ou maltraitée très jeune, vous voyez le monde d'une manière ou d'une autre. On garde toujours une forme de coloration de son milieu, de sa culture, même quand on fait semblant de changer de culture ou de milieu. Quand on se rend compte de cela, on n'est plus limité par ses opinions. On est à l'aise avec toutes les opinions, avec toutes les cultures, avec tous les systèmes de pensée, avec les gens qui mangent de la choucroute comme avec ceux qui pratiquent le yoga. C'est ce que l'on appelle la disponibilité.

    Si vous n'êtes plus pris par votre propre opinion, une forme de plasticité se fait dans votre vie. Au lieu d'avoir une vie très fermée, très scellée sur « c'est cela qui est juste, tous ceux qui pensent autrement se trompent », votre vie devient disponible et vous ne voyez plus de conflit dans ce qui pourrait se présenter. Si la vie vous apporte la chance de pratiquer un art, vous le pratiquez, et si elle vous empêche de le pratiquer, vous ne le pratiquez pas. Rien ne vous manque. Si vous êtes seul dans votre chambre d'hôtel le matin à cinq heures, vous faites du yoga. Si vous n'êtes pas seul ou si vous avez un avion à prendre, vous faites ce qu'il y a à faire. Vous conversez avec votre visiteur ou vous pre­nez l'avion. Rien ne manque ; pas de choix. S'il y a des carottes, vous mangez des carottes, et s'il n'y en a pas, vous improvisez. Cela amène une très grande facilité de vie.

    La vie est facile. Les gens ont une vie difficile lorsqu'ils ont une vie conceptuelle, des opinions du type « c'est juste, c'est faux ». Toute la vie est alors un conflit pour faire ce qui est juste et éviter ce qui est faux. C'est une vie dramatique. À un moment donné, on ne vit plus ainsi ; ce qui est là est ce qui est juste. Cela ne signifie pas que, s'il y a conflit, je n'agirai pas. Peut-être faut-il faire la guerre ou être violent ; cela fait partie de cette disponibilité. Mais ce n'est plus pour quelque chose, pour une idéologie ; c'est par quelque chose, par une résonance.
    Il n'y a que vous qui puissiez sentir si vous êtes fait pour fréquenter les brasseries ou les séminaires de yoga. Et vous ne pouvez le savoir que le jour où vous voyez qu'il n'y a aucun choix là-dedans. C'est quelque chose qui est inscrit en vous ; vous allez suivre ce qui est inévitable.

    Eric Baret


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    La pratique du yoga traditionnel stimule la disponibilité et donne une capacité de fonctionnement harmonieux avec l’environnement.

    Quand vous sortez d’une séance, vous devez vous sentir disponible à toutes les douceurs et à toutes les violences de la vie.

    Si vous vous sentez agressé par le bruit du téléphone, le hurlement des voisins ou la pollution, c’est que votre travail est encore volontaire. Au lieu de vous ouvrir à la réalité, vous vous êtes séparés de l’environnement, en créant l’image d’un yogi, d’un être spirituel. Quand on se prend pour quelque chose pour défendre cette image, la vie n’est que conflit.

    La pratique traditionnelle est là pour la mettre en question. Notre travail est sans référence physiologique qui provoquerait une restriction tactile. Le corps de sensation ne connait pas les limites de la science. Vous sentez l’élasticité de l’air, les courants énergétiques, les ressentis de vie qui ont été en fait à l’origine de la création du corps.

    On devient de plus en plus vivant, réceptif à cette immense potentialité sans s’y perdre. On laisse les rythmes intimes aller et venir, vous en découvrirez d’autres de plus en plus sensuels. De nouvelles régions s’éveillent comme des échos sans fin.

    La pose extérieure n’a pas d’importance, le corps n’est pas physiologique, il est musique.

    Laisser mourir la sensation de densité, de compression, déposez ce corps de défense, de peur, dans le corps de senti : il n’y a plus de corps.

    Cette vibration apparait et disparait dans la conscience, se révèle dans la conscience, révèle la conscience et se meurt dans la conscience.

    La beauté est dans ce mouvement de laisser vivre et mourir le senti, célébration de la vie, sacrifice de toutes nos restrictions.

     

     Eric Baret dans « Santé Yoga » janvier 2009

     


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    C'est uniquement quand on est ouvert aux émotions fondamentales que la pensée peut être porteuse d'émotion, de Lumière et de Beauté.

    Un homme sensé, c'est quelqu'un qui vit en harmonie avec ses émotions: il connaît ses peurs, ses anxiétés, ses jalousies, ses culpabilités, et il est complètement en accord avec elles.

    Quand quelqu'un s'ouvre à ses émotions, celles-ci quittent leurs prolongations pathologiques, elles deviennent poétiques.

    Au lieu d'avoir peur de sa peur, on écrira sur la peur, on peindra sur la peur, on fera de la musique sur la peur.

    Comme on le dit en Orient, la compréhension c'est d'être compréhension; rien n'est compris, personne ne comprend.

    Être compréhension n'est pas lié à la pensée, c'est une émotion fondamentale.

    Tout ce qu'il y a de très profond dans la vie naît d'une émotion.

    Eric Baret

    Source


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  • L'émotion nous amène à la tranquillité...

    Comment, de se laisser ressentir l'émotion nous amène à ressentir la détente qui nous permet alors de constater ce qui est libre et tranquille en nous. Au delà de fuir ou comprendre ou justifier une émotion, juste l'accueillir et sentir ce qui est là. Se permettre et s'autoriser à la tristesse sans désir d'être consolé. A partir de là, le corps devient le champ de l'évidence du vivant et du vibrant en soi.

    Une libération est toujours un ressenti. Quand un nœud se dénoue véritablement en nous, cela ressemble à une pieuvre qui serait collée sur une région précise du corps et qui semble tirer de l'extérieur tout en s'en défendant avec toute sa capacité ; tout craque, le nœud se vide. Plus l'enracinement est profond, plus la pieuvre étend ses tentacules dans tous les sens et plus cela se déchire sur son passage. Quand le nœud se libère, on éprouve une énorme jouissance, une respiration, un son primordial. Cette explosion purement sensorielle ne donne rien à penser (…)

    (…) Laissez votre corps vibrer, parler et la danse continue… Inutile d’aller le rechercher. Si c’est présent, vivez avec. Vous n’êtes pas triste : vous sentez la tristesse. Vous n'êtes pas anxieux : vous sentez l'anxiété. Vous n'avez pas peur : vous sentez la peur. Sentir la tristesse est une caresse. Sans elle, de nombreuses musiques n'auraient pas été écrites, beaucoup de peintures n'auraient jamais été réalisées. La tristesse, la peur c'est la beauté, sinon les montagnes russes des parcs d'attractions, les films d'horreurs et autres fleurons de notre civilisation n'existeraient pas. Laissez cette tristesse vraiment être triste, vraiment respirer en vous, et quelque chose va se placer. Plus vous allez sentir la tristesse, plus la joie se révèle. Plus la larme va couler sur votre joue et plus vous allez vous sentir libéré, heureux, tranquille.

    Vous sentez l'agitation tranquillement, sereinement. C'est un calme qui peut inclure une grande effervescence du corps et du psychisme. On peut alors parler de purification. Si, après la séance de yoga, la tristesse se prolonge, cela prouve que vous avez abordé le corps avec sensibilité, sans utiliser les masses musculaires, sans intention.
    Laissez-vous faire. Vous devez avoir une affection absolue pour cette émotion. C'est votre trésor le plus intime. Elle va vous révéler votre liberté. Vous devez la porter dans votre coeur comme quelque chose de très précieux. Petit à petit, ce trésor va se dévoiler, ce n'est pas à vous de le faire apparaître. Il va venir à son propre rythme.

    Le yoga, dans le sens cachemirien, n'est pratiqué que pour laisser monter en nous ces émotions. Ensuite, elles vont s'actualiser dans notre tranquillité et nous révéler les aspects les plus profonds de notre être. L'émotion ne nous empêche pas d'être tranquille ; au contraire, c'est elle qui nous amènera à la tranquillité. C'est la tension du corps qui va permettre la prise de conscience de ce qu'est vraiment la détente. Dans cette détente, la tension apparaît et nous révèle à son tour la détente, elle nous permet de constater ce qui est libre en nous. Ce cercle est le cœur de l'approche tantrique.

    Dans le yoga classique, l'émotion, la tension est rejetée. Ici, c'est le contraire : tout ce qui est ressenti nous amène à cette tranquillité. Cela demande une plus grande subtilité (…)

     Eric Baret - Corps de vibration, corps de silence - Editions Almora  www.bhairava.ws

     


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    La vie est intensité

    Le temps c'est la mémoire

    C'est le temps qui est dans la présence

    Le présent c'est l'instant

    Neti neti


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  • http://mebahiah42.files.wordpress.com/2010/09/liberte.jpg?w=500&h=339

     « De l’amour, on ne peut pas parler parce que c’est ce qui est. Ce qui est n’est pas une expérience objective, c’est ce qui est là à chaque instant, sauf quand je prétends aimer ou que je veux être aimé. Quand je veux être aimé, je veux quelque chose. Quand je veux quelque chose, je n’aime pas. Quand je ne veux plus aimer, que je ne veux plus être aimé, dès que je me libère de cette volonté de m’approprier, de ressentir quelque chose, ce qui reste c’est l’amour. S’il y a fidélité à cet amour, c’est une véritable fidélité. Mais chaque fois que j’aime quelqu’un, chaque fois que je veux être aimé, je suis infidèle à mon autonomie et cette infidélité coûte très cher. Elle me coupe de ma résonance, de l’amour véritable.

    La fidélité à l’amour n’est pas quelque chose à faire. ; C’est ce qui s’accomplit constamment, sauf quand je veux aimer ou être aimé. C’est alors une trahison, une imposture ; l’ego qui essaie d’attraper quelque chose.

    Aimer quelqu’un est une projection, un fantasme, tout comme ne pas aimer quelqu’un. Dire que l’on n’aime pas telle personne est un fantasme. C’est être coupé de sa propre résonance. Quand je dis que quelqu’un n’est pas sympathique, je vis dans mon fantasme, dans mon orgueil, je suis coupé de ma réalité. Si je suis présent, il n’y a rien qui ne me soit pas sympathique. Mais quand je vis dans mon fantasme, tout ce qui ne correspond pas à mon attente m’est antipathique.

    Donc aimer ou détester relève du même monde fantasmatique et n’a rien à voir avec la réalité. La nature des choses, c’est l’amour. Je ne peux donc pas dire que j’aime quoi que ce soit. Aimer quelqu’un, cela voudrait dire aimer moins les autres. Ce n’est pas l’amour, c’est un manque d’amour. L’amour n’est pas exclusif, il est inclusif. Il y a des gens qui aiment leurs enfants et aiment moins ceux des autres. C’est une pathologie. L’enfant qui est devant nous est notre enfant. Cette fidélité à l’amour est une forme de clarté.

    Avoir besoin d’amour, d’être aimé…Il faut se libérer de ce fantasme pour journaux féminins !

    Personne ne nous a jamais aimé, personne ne nous aimera jamais et c’est très bien comme ça ! Personne ne peut aimer. L’ego ne peut pas aimer. Quelqu’un ne vous aime pas ; il projette plutôt sur vous la réponse à une attente. Quand vous correspondez à cette attente, il vous aime. Quand vous ne correspondez plus, il vous jette et il prend quelqu’un d’autre qu’il aime à sa manière. On n’a pas besoin de cet amour.

    Le besoin d’être aimé est une maladie, et le besoin d’aimer aussi. Cette maladie se résout quand une sensibilité corporelle s’éveille. L’éveil sensoriel nous libère de ces besoins fantasmatiques. Il n’y a pas de besoin. Le besoin est futur. Dans la sensibilité, dans l’instant, de quoi pourrais-je avoir besoin ? Cela ne veut rien dire.

    Etre amoureux est une pathologie. Comme toute émotion, elle a des moments de totale beauté. Quand vous êtes ivre mort, que vous avez pris des drogues, trop mangé ou fait un effort physique trop important, il y a ainsi des moments de folie sensorielle qui sont autant de moments de méditation. Etre amoureux contient aussi ces moments qui dépassent notre fonctionnement habituel.

    Être amoureux est l’expression d’un manque d’amour ; cela veut dire que ce dont on n’est pas amoureux passe au deuxième plan. Je suis amoureux et, si quelqu’un a besoin de moi, je n’ai pas le temps de le voir parce que je suis amoureux ! Ce n’est pas possible. On est amoureux de ce qui se présente maintenant, pas amoureux de quelqu’un que l’on doit aller voir, négligeant pour cela toute la souffrance de l’entourage immédiat.

    Il n’y a fidélité qu’à cette évidence.

    L’amour inconditionnel pour quelqu’un, c’est des histoires de jeune fille. Il est inconditionnel…jusqu’au jour où il est conditionnel.

    La plupart des êtres humains ont besoin d’une situation de couple pour vivre dans une certaine harmonie. Beaucoup de gens aiment parler et ils ont besoin de quelqu’un pour écouter. Bien sûr, vous pourriez parler au mur. Mais la plupart des gens ont trop de concepts pour apprécier la profondeur du mur. C’est pourquoi ils se marient. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se mettent à parler au mur.

    Pour la plupart des gens, le mariage est une bonne affaire. Cela se situe exactement sur le plan animal. « Tu me donnes ceci, je te donne cela. Si tu m’aimes, je t’aime. » C’est ce que la plupart des gens appellent l’amour. C’est étonnement peu pratique, mais approprié pour beaucoup.

    La plupart des gens ont besoin d’une image de sécurité. Ils ont besoin de savoir vingt ans à l’avance si on les appellera « mon amour » ou non.

    Il est très rare qu’une attirance physique soit également intellectuelle et affective. Dans nos sociétés mondaines et artificielles, on a voulu instituer des structures où il fallait tout trouver dans la même personne.

    Dans chaque être que vous rencontrez, une profondeur est présente. Mais l’ego, la personne, veut une sécurité. Alors, on a créé des institutions qui sanctifient la peur de l’ego. L’ego a tellement peur qu’il s’est approprié de manière religieuse ces sacrements et, à cause de cela, des gens respectent « la femme » ou « le mari » d’autrui. La perversité s’est insinuée dans notre psychisme à un point tel que l’on respecte ce qui n’existe pas : la peur, la propriété.

    Les êtres humains ne sont la propriété de quiconque. Mais l’ego a besoin de prétendre et, pour cela, on crée des chaînes que les gens portent au doigt. Ils sont fiers d’être enchaînés, ils aiment une personne plus qu’une autre. C’est une invention respectée par la société. Ces sacrements sont conférés par des êtres déguisés en sombres fantômes qui camouflent souvent leurs penchants refoulés sous une religiosité érigée en moralité…

    A un certain moment, on ne se sent plus concerné par ces caricatures pathologiques. Il est normal que certaines personnes se réjouissent quand une équipe de football qui a le même accent que le leur marque un but. Mais vient un jour où l’on ne se sent plus en symbiose avec ce comportement. Vous réalisez à quel point quelqu’un doit être malheureux pour être comblé quand un morceau de cuir dépasse une ligne, pour s’imaginer qu’il possède un homme ou une femme et qu’il existerait un lien autre que celui de l’amour.

    Cela n’empêche pas, pour des raisons fonctionnelles et économiques, de se livrer à ces rites étranges – qui ne sont d’ailleurs pas des rites mais des antirites, des antiritualisations – de nos sociétés. Simplement, à un moment donné, il devient impossible d’y trouver une émotion. »

     Eric Baret


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    La tristesse est une des émotions profondes et il faut la garder sans objet.

    La tristesse ou mélancolie est un des sentiments essentiels.

    Une sorte de pressentiment de la tranquillité.

    Profondément, c'est sentir que ce que l'on cherche n'est pas atteignable dans les situations objectives.

    Je sens que, quoi que je fasse, la motivation qui me dirige, qui est unique et qui est celle d'être tranquille, ne trouvera pas son achèvement. Lorsque vient une forme de maturité, cette tristesse est constamment là car, quoi que je fasse, je sais que je ne trouverai pas ce que je prétends trouver.

     La tristesse dans ce sens-là est une forme de maturité.

    Quand on connaît cette tristesse, on ne peut plus tomber amoureux.

    Tomber amoureux serait prétendre, encore une fois, que je vais pouvoir trouver quelque chose quelque part, ce qui est impossible dans la maturité.

    Dans cette tristesse, il ne reste plus aucune place pour l'attente d'une quelconque satisfaction dans le monde objectif, dans le monde phénoménal. Quand je vois clairement qu'aucune situation phénoménale ne pourra jamais me satisfaire, que je vis avec cette constatation, cette tristesse devient un alanguissement, un pressentiment. Ce n'est plus la tristesse de quelque chose qui manque, mais c'est comme un parfum auquel petit à petit le nez se fait. Au début, le parfum est dans l'espace, on ne peut pas sentir d'où il vient, puis peu à peu on décèle son origine. Quand on a la maturité de garder la tristesse, il se produit une certaine remontée à la source. Mais les gens qui constamment nient la tristesse, qui tombent amoureux, qui s'extasient de ceci ou de cela ne peuvent jamais remonter à la source.

    Ils ont cet alanguissement sur le moment, puis ils nient son authenticité en pensant de nouveau qu'une relation, qu'une situation, que quelque chose va les accomplir...

    Vient un moment où on ne nie plus cette tristesse. Il n'y a rien qui puisse nous faire aller en l'avant. Quoi qui se passe, c'est la même chose. Il n'y a plus de dynamisme intentionnel. Il y a un dynamisme organique, parce que la nature de la vie, c'est l'action, mais il n'y a rien qui nous fait bouger vers quelque chose. A ce moment-là, cette tristesse devient une vraie tristesse. Et elle se révèle être un chemin, comme une fumée que l'on suit, qui va ramener vers ce qui est pressenti... Cela devient une nostalgie. Mais la moindre trahison de cette nostalgie, penser que ceci ou cela va me satisfaire, me ramène à la confusion. Selon l'approche indienne, la tristesse est le sentiment ultime.

    C'est le sentiment de la séparation. Toute la musique indienne est fondée sur le sens de la séparation. Dans l'art de la miniature des contreforts de l'Himalaya, on voit souvent Radha en train de chercher Krishna. L'émotion de base, c'est la tristesse. Cette tristesse ne laisse aucune place pour quelqu'un d'autre, aucune place pour tomber amoureux d'autre chose.

    Cette tristesse brûle toutes les situations objectives. Plus aucune attente n'est possible... A ce moment-là, cette tristesse se transforme de manière alchimique en pressentiment non-objectif. Il n'y a pas de direction à ce pressentiment qui devient une manière de vivre, qui ne laisse plus aucune place pour un dynamisme d'aller quelque part, d'attendre, d'espérer. Cela, c'est la vraie tristesse. Mais tant que l'on est triste de quelque chose, triste parce que quelque chose n'est pas là ou que quelque chose est arrivé, on nie cette vraie tristesse.

    Alors on reste collé à la tristesse, qui devient une forme de poison pour le corps, pour le psychisme, pour la pensée. C'est dans cette conviction qu'il n'y a rien pour moi dans les situations objectives que cette tristesse se transmue en pressentiment. Il n'y a rien à faire pour cela ; c'est une maturation. Je ne peux pas mûrir volontairement, mais je peux me rendre compte de ma non-maturité.

    Je peux me rendre compte que je suis constamment attiré par ceci, par cela, que constamment j'essaie de créer une relation, de maintenir une relation, d'espérer une relation, de vouloir arrêter une relation, de vouloir ceci, de vouloir cela, de me trouver comme ceci, comme cela, de penser que finalement, peut-être quand j'aurai fait ceci, atteint cela, cela ira mieux. C'est une prétention, une négation du pressentiment profond qu'il n'y a rien qui puisse me satisfaire. Quand je nie ce pressentiment en attendant quelque chose qui puisse me satisfaire, la vie est misérable.

    Lorsque je vois clairement ce mécanisme en moi, alors la tristesse n'est plus triste.

    Elle devient un pressentiment, un jeûne du coeur. La compréhension qu'il n'y a rien pour moi dans le monde objectif est un jeûne de la pensée. Mais le plus important est le jeûne du coeur : la tristesse. Je ne me cherche plus dans l'émotion. La seule émotion que je veuille, c'est cette tristesse et ce pressentiment. Il n'y a aucune ramification objective, aucune direction pour moi... Etre ouvert à la tristesse est la fidélité à la réalité de l'instant.

    Débarrassé de toutes ses attaches intentionnelles, cette tristesse s'effondre dans notre écoute.

    Fidélité sans objet à l'essentiel.

    Larmes de joie.

    Tristesse, sentiment ultime Extrait du livre « Le seul désir. Dans la nudité des tantra » par Eric Baret


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    Quel est le rôle du yoga ?

     

    Aucun rôle !

     

    N'est-il pas utilisé au Cachemire ?

     

    Certainement pas « utilisé ». Vouloir utiliser les choses fait partie de la démarche progressive. Le yoga, la médecine, la peinture, la sculpture, l'art de la guerre, tous les arts qui construisent maintiennent ou détruisent les facettes de la vie, favorisent une possible expression du pressentiment d'être.

     

    Le yoga parle du corps. Le corps peut se trouver dans un état de très grande débilité, et pourtant le sentiment « d'être » est toujours là. En fait l'inclination à la pratique du yoga doit être considérée tout au plus comme un signe « auspicieux ». Pour la plupart, l'expression de la compréhension se trouve dans la vie quotidienne, dans les occasions les plus ordinaires. L'art du yoga, dans la tradition shivaïte du Cachemire, est en fait l'art d'écouter. Ecouter les différentes modifications psycho-sensorielles dans le corps lors des diverses situations de la vie quotidienne. Cette écoute qui ne juge, ni n'intervient, permettra petit à petit à la réactivité constante du corps de s'atténuer. Les différents mouvements de la sensibilité quittant leurs caractéristiques d'agitation seront ressentis de plus en plus sous forme rythmique. La corporalité grossière ou subtile n'est que vibration. L'écoute « non impliquée » de ces différents rythmes amène tôt ou tard leur résorption dans leur origine, silence conscient.

     

    « Des tourbillons de qualités comme des sons et des lumières surnaturelles sont perçus par le cœur. Qu'on n'y mette pas l'accent et qu'on pénètre dans le suprême séjour à l'aide de son propre cœur. C'est ce qui coupe les liens du devenir. »

    Lakshmikaulanarva Tantra.

     

     

    L'abdication totale dans le silence permet de quitter les réseaux fractionnels de notre corps, positifs et négatifs, dans lesquels circulent généralement les énergies. Dans ces moments de silence et de « non-utilisation » des réseaux schématiques du corps, fuse, libre de toute intention, l'énergie qui est pure expression du silence sur le plan phénoménal. Cette célébration, cette offrande de la dualité dans le cœur trouve son expression la plus subtile dans le rite du pranayama. Les souffles inspirés et expirés, après avoir rempli leur fonction d'éveilleur et de purificateur, sont offerts en oblation dans le repos qui les suit. Le vide après l'expiration, vécu en unité, est l'espace d'où jaillit l'énergie enfin libre de percuter sans obstacle la cérébralité.

       

    «Quand le souffle vital abandonne les passages de droite et de gauche et suit la voie ascendante, ce mouvement détermine ainsi la fonte de toute la dualité comme celle du beurre congelé et donne naissance à l'unité. Telle est la fonction du souffle ascendant, udana, qui correspond au quatrième état. »

        Abhinavagupta, Ishvarapratyabhijnavimarshini

     

    Le yoga, la pose peuvent-ils jouer le rôle de révélateur ?

     

    Oui, révélateur de ce qui est antérieur à cette révélation. Retrouver consciemment ce qui était voilé en nous.

     

    « Rien de nouveau n'est obtenu, pas plus que n'est rendu lumineux ce qui ne l'était pas ; est seulement bannie la conception erronée qui considère ce qui est lumineux comme non lumineux. »

     

    Abhinavagupta, Ishvarapratyabhijnavimarshini

     

    Au sens classique, le yoga est l'art de mourir à soi-même. De nos jours, il est plus souvent interprété comme une technique de mieux-vivre. Atténuer un nœud pour favoriser la réceptivité peut être, dans certains cas, justifiable. Chercher à tout prix, au moyen d'une discipline, à effacer tous les antagonismes du corps et du mental n'est que violence. Seule une prise de conscience sans volition aucune, peut vraiment libérer une tension et non une intervention arbitraire nourrie d'intention.

     

    En Inde, de nombreuses personnes passent deux ou trois heures au nettoyage quotidien de tous leurs orifices et organes accessibles afin de se purifier avant d'entreprendre leurs exercices rituels. Cela les maintient en excellente santé. Et alors ? Quand le rouleau compresseur arrive, il ne fait aucune différence entre un corps en bonne santé ou un autre complètement débilité. Cela, bien sûr, ne veut pas dire que tous ces nettoyages sont sans aucune valeur, s'ils sont utilisés à bon escient, avec modération.

     

    L'art de célébrer notre véritable nature par une attitude corporelle rituelle, asana, est très peu connu. Souvent, en Occident et même en Inde de nos jours, la pratique des poses se réduit à une gymnastique plus ou moins intelligente. On essaye d'imposer au corps un schéma extérieur, arbitraire, en pensant ainsi le purifier. Cette attitude démocratique, qui consiste à s'imaginer pouvoir aller du moins vers le plus, n'est en fait que violence, sécurisation, et reste toujours dans le domaine de la mémoire, du déjà connu. L'art du Cachemire, au contraire, reconnaît l'antériorité de l'archétype sur le corps. Il ne s'agit donc pas « d'arriver à faire », d'arriver à tenir telle ou telle pose dans un domaine relatif, mais bien de se rendre compte de toutes les limitations et blocages, du manque de sensibilité qui nous habite et masque notre réelle corporalité. Une pose ouvre une porte sur des niveaux de perception plus aiguisés où il devient possible de pressentir clairement certaines expressions subtiles de la conscience.

     

    « Par la voie des organes le yogi appréhende les jouissances du monde sensible et par cette même voie il déverse son cœur, remplissant ainsi le triple monde d'une pulsation consciente.»

     

    Maheshvarananda, Mahartamanjari

     

    Ainsi, avant d'aborder la pose classique, on passera d'abord par de multiples demi-poses et quart de poses. La créativité du moment, se canalisant dans des gestes traditionnels, entraînera un « vidage » approfondi de toutes les articulations, de toutes les défenses, jusqu'à ce que la transparence naturelle du corps soit de nouveau retrouvée.

     

    « Qu'on évoque l'espace vide en son propre corps, dans toutes les directions à la fois. »

     

    Vijnana Bhairava Tantra.

     

    Du point de vue de cette transparence, le corps subtil, corps d'énergie libre du schéma corporel, sera pressenti dans sa gloire. Ce corps subtil, vibration réceptive, totalement un avec son environnement, va d'abord, sans la participation du corps physique, prendre la pose demandée. Cette prise de l'asana par le seul corps vibrant est un art d'une grande finesse et demande une totale abdication de toute volonté de faire. Plusieurs allers et retours seront souvent nécessaires pour consumer la mémoire des différentes défenses associées à ce mouvement. Lorsque la pose subtile pourra être maintenue clairement, sans référence à la corporalité, alors seulement le corps physique, enveloppé de cette vibration en éveil, pourra à son tour se glisser dans la posture. La corporalité libre de réaction pourra ainsi s'immerger dans l'archétype, ouverture multidimensionnelle. Le corps dans ses modalités physiques et subtiles deviendra alors offrande à notre véritable nature.

     

    « Le corps à forme subtile, à forme grossière que tous les êtres consacrent « sujet » est l'oblation que le grand yogi verse dans le feu de la conscience. »

    Kshermaraja, Shivasutravimarshini

     

    La pose se dessine donc dans un corps complètement vacant. La vacuité se maintiendra, s'étalera dans la pose avec l'aide d'un souffle éveilleur. Le retour vers le point de départ du mouvement, moment crucial, se fait également dans cette détente. Alors seulement les énergies libérées par la vacuité pourront s'intégrer consciemment dans notre ouverture. Leur jaillissement, quand la verticalité de départ a été réintégrée, leur explosion et leur résorption consciente, est en fait le moment le plus important. C'est cette montée d'énergie qui libérera le corps et le psychisme de ses limitations, et non pas la pose elle-même. Quand toute trace de la pose sera totalement effacée et que la transparence naturelle en aura résorbé toute les résonnances, la possibilité d'aborder une autre pose pourra se présenter.

     

    « Contemple cette conscience sise dans le corps et qui fulgure comme le feu de la conflagration finale. C'est là que l'amoncellement des catégories est consommé, là qu'elles vont toutes à leur dissolution. »

    Viravali

     

    Cette approche qui met autant l'accent sur les moments entre les poses que sur les poses elles-mêmes, ne permet pas de se perdre dans la pratique physiologique de séries qui s'enchaînent presque rythmiquement comme l'enseignent certaines « écoles de yoga».

     

    Se donner intimement à une pose requiert une grande attention. Quand on a vidé les résistances et que le corps dans sa totalité se trouve dans la posture voulue, les différents modes de l'énergie propres à cette pose vont se mettre à vibrer, un peu comme le va-et-vient des marées. Cet éveil de la vibration qui va passer par de multiples degrés de transformation demande un certain temps pour s'actualiser totalement.

     

    Chaque pose a son temps propre, nécessaire à son accomplissement. Limitons-nous aujourd'hui à souligner l'importance, quand, bien sûr, le corps est prêt pour cela, de rester suffisamment longtemps dans les poses pour que les aspects tamasiques, rajasiques et même sattviques se résorbent dans l'écoute.

     

    Il en sera de même lors du retour à la verticalité. Certains adeptes passent presque autant de temps à laisser vivre en eux les prolongations énergétiques des poses jusqu'à leur totale résorption, que dans la pose elle-même.

    Le corps, vidé de toute limitation, sera alors disponible pour le rite du pranayama ou pour la méditation dans le vrai sens du terme: ouverture dans l'Ouverture sans rien d'objectif à appréhender.

     

     

    Eric Baret

      "Le yoga tantrique du Cachemire"

     

     


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