• La terre ne se presse pas

     
    Enfin, il y a le rythme de la terre, auquel les laboureurs se sont pliés depuis des siècles par une sorte de mimétisme si parfait que leurs attitudes, leurs gestes les plus anodins dénoncent l'un des plus vieux métiers du monde. Et cette curieuse noblesse dans le comportement physique, ce temps qu'ils prennent pour négocier avec l'espace, cette harmonie naturelle les font paraître de plus en plus balourds à mesure que l'énervement gagne le commun des mortels.

    Je connais des gens irrités par la lenteur des paysans qui circulent dans leur ville. Peut-être feraient-ils mieux de s'irriter de leur propre hâte. Nous arriveront à Noël ensemble.

    En ville, le paysan marche à son pas, c'est à dire au rythme de sa vie quotidienne, la vie des champs. Les chemins creux, les terres labourées, les prés même ne s'arpentent pas comme un trottoir de rue. Et il faut d'autres chaussures que des escarpins vernis, d'autres talons que des aiguilles.


    Sauf le cas de foire ou de marché, et encore! Le paysan en ville est un flâneur, une espèce de touriste. Il marche, il s'arrête, il observe comme un touriste sérieux. Le spectacle de la ville est son délassement et son étude à la fois. Et soyez sur qu'il n'y voit pas les mêmes choses que vous. C'est qu'il n'a pas les mêmes yeux. Les siens sont plus neufs. Toujours.

    Cette lenteur paysanne, cette admirable économie du corps qui n'est ni lourdeur ni gaucherie, est imposée par le rythme des travaux. Et ce rythme est celui du temps lui-même. L'unité de mesure est le jour, non pas l'heure. On voir rarement un paysan tirer sa montre. Il se lève avec le soleil, il finit son travail avec lui. Je sais encore des fermes où les moments des repas sont marqués par l'angélus. J'en ai fréquenté une, autrefois, où la fermière appelait les hommes à la galette ou à la bouillie en soufflant dans une corne. Les hommes revenaient sans se presser. Quand on se presse, c'est qu'il y a nécessité, urgence grave, un orage qui se prépare ou quelque chose qui brûle quelque part.

    Il y a trois sonneries de cloche avant la grand'messe pour donner le temps de se préparer, de se mettre en route, et d'arriver sans cette hâte qui compromettrait le recueillement dominical.

    Et puis, l'essentiel est ailleurs. L'essentiel est que la terre ne se presse pas. Il lui faut son temps. On lui confie des semences et on attend qu'elles lèvent, fassent des tiges, nouent des fruits. On attend l'août pour moissonner. Peut-être, un jour, les hommes de science trouveront-ils le moyen de faire produire dix récoltes par an. Alors les femmes feront des enfants en six semaines.

     

    En attendant, attendons!

     

    Attendre, le maître mot.




    On ne saurait sans injustice reprocher aux paysans d'être restés en arrière délibérément par mauvaise volonté, étroitesse d'esprit ou incapacité de s'adapter. C'est qu'ils travaillent sur le vif, eux. La terre est vivante et fragile comme un ventre de femme. Les animaux, les végétaux sont vivants. Il est relativement facile de tirer, de plus en plus vite, une automobile d'un bloc de métal. Le métal se laisse faire par plus fort que lui. Mais essayez donc de transformer un porcelet en cochon gras sous huit jours! Ce n'est que lorsqu'il est engraissé et tué que vous pouvez le débiter sous trente-six formes dans une chaîne électromécanique. Mais à quand votre usine à faire des porcs?

    Et quand remplacera-t-on le pain, avec quoi?

    Ensuite, la plupart des techniques de progrès ont été trouvées par les gens des villes et pour leur usage. Il y a fort peu de temps que les ingénieurs se sont attaqués aux problèmes des paysans. Le moins qu'on puisse dire, c'est que leurs réussites ne sont pas éclatantes. Ils font ce qu'ils peuvent bien sur. Mais il est apparemment plus facile de creuser un tunnel sous la Manche que de normaliser l'agriculture. Et plus facile peut-être de construire un radôme à Pleumeur-Bodou que de mettre en valeur les Monts d'Arrée.


     Mais aujourd'hui déjà, l'avez-vous remarqué! les jeunes paysans ne marchent plus comme leurs pères. C'est qu'ils ont d'autres chaussures, des routes goudronnées, moins de talus. Ils ne se tiennent plus comme des vieux. C'est qu'ils travaillent avec d'autres outils. Ils vont plus vite parce que les tracteurs ont changé leur rythme millénaire et que le temps, désormais, pour eux aussi, c'est de l'argent. Ils ont des montres au poignet et ils savent être à l'heure. Leurs pères étaient toujours en avance et en retard. 


     


    Pierre-Jakez Hélias 1975

    Tiré de "Autrement" La patience, passion d'une durée consentie



    C'est le texte d'Eva qui m'a donné envie de publier à nouveau celui-ci  déjà paru en trois parties en février 2009.

    Les commentaires sont ICI, ICI, et ICI



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  • Commentaires

    16
    naradamuni
    Mercredi 13 Novembre 2013 à 14:09
    naradamuni

    Une visite ches Sepp et Veronika Holezer sur le Krameterhof en Autriche

    Sepp et Veronika Holzer ont crée un jardin d´Eden, à 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer. En trente ans, Kameterhof est denveu un symbole de ce que la permaculture peut réussir. Ils ont transformé son "desert de sapin" en une ferme produisant une nourriture saine, de l´eau et de l´énergie pour leur consommation et un environnement favorable à l´épanouissement des animeaux, des plantes et du sol.
    A une altitude comprise entre 1100 et 1500 mètres, ses cerisiers forment presque un rangée d'arbres. On n'avait jamais vu cela !
    Les 15 sortes de cerisiers plantés à différentes altitudes mûrissent à différentes époques.
    Pour le fermier, cela signifie cinq mois de récolte de juin à septembre!!!
    ...
    15
    Suzame
    Mercredi 13 Novembre 2013 à 14:09
    Suzame

    Je vis avec un citadin. Un qui est toujours pressé. Qui marche toujours à 5 mètres devant moi quand nous sommes en balade.

    Depuis  un ou deux ans j'ai décidé de ralentir le rythme, de prendre le temps. Quand la vitesse n'est plus nécessaire, je ralentis et je m'en porte très bien. Je lutte pour ça tous les jours.

    Ce texte de P.J Héliaz (un breton - hé hé !) est magnifique même si il date un peu.

    Je connais un paysan breton, un homme splendide, qui est toujours "à la bourre". Il n'a jamais assez de temps. Le temps va trop vite pour lui. Bien sûr, il a internet, un téléphone portable, une maison neuve, des tracteurs, bientôt une nouvelle salle de traite qui va lui faire "gagner du temps". Les paysans d'aujourd'hui ne sont pas restés en arrière. Ils ne peuvent pas. Leurs femmes ont leur métier à elles. Sécurité financière oblige.

    Je connais un paysan breton, moderne. Quand ce paysan prend mon bras afin que nous partagions une balade, mon dieu quel bonheur, il ne courre pas. Il prend le temps. Quel bonheur de prendre le temps en compagnie d'un paysan.

     

     

     

    14
    naradamuni
    Mercredi 13 Novembre 2013 à 14:09
    naradamuni

    Ce sont ces vidéos qui ont été retirées d'internet et sont en vente ici !

    13
    Suzame
    Mercredi 13 Novembre 2013 à 14:09
    Suzame

    Te le présenter.. Un être rare comme ça.. .ne sais pas trop si j'ai envie de partager.

    12
    Dimanche 4 Avril 2010 à 22:48
    Yog' La Vie

    C'est un plaisir de faire plaisir!

     

    Le moulin au printemps

     

     

    Le chaume et la mousse

    Verdissent le toit ;

    La colombe y glousse,

    L'hirondelle y boit.

    Le bras d'un platane

    Et le lierre épais

    Couvrent la cabane

    D'une ombre de paix.

    La rosée en pluie

    Brille à tout rameau ;

    Le rayon essuie

    La poussière d'eau ;

    Le vent, qui secoue

    Les vergers flottants,

    Fait de notre joue

    Neiger le printemps.

    Sous la feuille morte,

    Le brun rossignol

    Niche vers la porte,

    Au niveau du sol.

    L'enfant qui se penche

    Voit dans le jasmin

    Ses œufs sur la branche

    Et retient sa main.

    Lamartine

    11
    Dimanche 4 Avril 2010 à 22:43
    ADAMANTE

    Un merci avec Jean Ferrat je suis gâtée, vraiment. Bonne nuit

    10
    Dimanche 4 Avril 2010 à 22:30
    Yog' La Vie

    Non je ne connais pas "L'arbre aux sabots"....Tu le décris comme Paul dans sa vie

     

    Merci Adamante!

    Les saisons

    Ah les saisons Ah les saisons
    Je ne me lasse pas
    D'en rêver les odeurs
    D'en vivre les couleurs
    D'en trouver les raisons
    Ah les saisons Ah les saisons

    Je serai l'automne à tes pieds
    Tu seras l'été à ma bouche
    L'hiver aux doigts bleus qui se couche
    Nous serons printemps fou à lier

    Ah les saisons Ah les saisons
    Ja vais sans me lasser
    En guetter les rumeurs
    En voler les ardeurs
    En vivre à tes côtés
    Ah les saisons Ah les saisons

    Voir un seul hiver t'affamer
    Encore un été t'épanouir
    Encore un printemps t'enflammer
    Un seul automne pour en rire

    Ah les saisons Ah les saisons
    Je ne me lasse pas
    D'en distiller les fleurs
    D'en jalouser chaque heure
    D'en mourir sans raison
    Ah les saisons Ah les saisons
    9
    Dimanche 4 Avril 2010 à 19:44
    ADAMANTE

    Pierre-Jakez Hélias c'est un régal, et une vérité. Connais-tu le film "l'arbre aux sabots" ? une merveille avec ce rythme si particulier de la terre et de ceux qui la connaissent en la respectant. Goûter les saisons et apprécier le rythme de la vie... c'est apprécier la vie, c'est déjà se nourrir de lumière. bonne soirée.

    8
    Samedi 3 Avril 2010 à 16:29
    Yog' La Vie

    La fourmie bretonne n'est donc pas prêteuse....

     

    http://profils.blogs.com/profils/images/radins.gif

     

     

    7
    Vendredi 2 Avril 2010 à 18:06
    Yog' La Vie

    OUPS! Il était tard!

    6
    Vendredi 2 Avril 2010 à 17:40
    Yog' La Vie

    Le mien était un peu comme ça aussi mais ça va beaucoup mieux. Quand il mange, je lui demande parfois s'il a un train à prendre!! 

    Aujourd'hui, pour moi, côté rythme, je ne peux pas aller plus bas!

    Ben oui, il y a les paysans d'hier et ceux d'aujourd'hui. ....Mais ne faisons pas de généralités car nous sommes...sept milliards d'uniques!

    "Quel bonheur de prendre le temps en compagnie d'un paysan". Il faudra que tu me le présentes!

     

    5
    Vendredi 2 Avril 2010 à 01:02
    Yog' La Vie

    Alors tout espoir est possible!

    Tu avais déjà donné des liens de vidéos plus longues sur la permaculture que j'avais vu mais je ne sais plus où elles sont rangées...

    Bonne nuit!  

    4
    Vendredi 2 Avril 2010 à 00:04
    Yog' La Vie

    De ces paysans qui ont travaillé si difficilement et qui sont parfois obligés d'aller se nourrir au Restos du coeur à cause de leur maigre retraite.

    Si tu as l'occasion un jour de regarder "Paul dans sa vie". Un bijou!

    3
    Jeudi 1er Avril 2010 à 23:58
    Yog' La Vie

    Il a été écrit il y a 35 ans! Les temps ont très vite changé et pas pour le meilleur. Rassurons-nous, il existe de plus en plus de Patybio!

    2
    Jeudi 1er Avril 2010 à 14:19
    Vieux Jade

    Hélas, c'est presque fini - je pensais à Giono, 40 ans plus tôt - ils y sont arrivés à faire les porcs en 8 jours. Pauvres porcs, pauvres nous, pauvres paysans. Mais le triomphe de cette cohorte de démons est illusoire et voué à l'échec. J'ai vu les chevaux attelés aux tombereaux de sable, et aujourd'hui le moindre "exploitant", tant exploiteur qu'exploité survole le monde du haut de ses 160 CV, qui lorsqu'il sera aux 3/4 payé sera  déjà obsolète ou foutu. Taux de suicide des paysans : effarant. Courez, courez, pauvres diables à votre perte. Avec le reste du monde profané.

    Ceux qui demeurent vivants s'assoient et regardent, priant le Ciel qu'Il nous pardonne à tous, et qu'Il veuille bien nous préparer une Terre nouvelle. Merci, Yog de nous donner ton beau blog.

    1
    Jeudi 1er Avril 2010 à 13:38
    patybio

    Bonjour Yog,

    Bon 1er avril à toi...

    Ce texte et photos sont authentiques... je n 'ai pas encore lu les autres parties.

    J 'adore ce genre de texte qui remet bien les choses à chaque place, cela nous rappelle à l 'ordre !

    Merci pour ce partage

    Patybio

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