• Lâcher prise - Y. Tardan Masquelier

     

    Mot magique qui promet la guérison des maladies de notre temps, le bien-être enfin retrouvé du corps et de l’esprit. Lâcher la prise que nous mettons sur le monde, sur les autres et sur nous–mêmes. Ramer à contre-courant de la propension à prendre conscience, prendre l’air, prendre la parole, prendre forme, prendre place.  

    Défaire le lien qui nous étouffe, car, prenant, nous sommes pris à notre tour par ce que nous prenons. Emprisonnés par ce rapport spontané de possession.
    La question du lâcher prise semble aussi vieille que l’humanité ; en tout cas, les grandes philosophies antiques en font déjà un sujet de méditation. Je ne mentionnerai ici que le yoga, qui, comme on sait, était une sagesse, une « voie de libération » plutôt qu’une gymnastique.
    Le texte de référence de cette voie, les Yoga Sûtra, aborde la question dès le début de son exposé.
    Parmi les comportements dont le futur yogi doit se défaire et parmi ceux qu’il doit adopter dès le début de la pratique, il me semble que plusieurs sont en lien avec ce que nous mettons sous les termes de « lâcher prise ».
    Le premier d’entre eux est la vertu majeure du yoga, celle qui ouvre le chemin :
    la non-violence, ahimsâ, un mot qui signifie littéralement « le fait de ne pas nuire ».
    Puis nous trouvons asteya, « ne pas s’approprier », et encore aparigraha, « ne pas (s’) agripper ».
    Et le dernier d’entre eux, îshvara pranidhâna, propose de « s’en remettre à plus grand que soi ».
    Progression remarquable. Ahimsâ, asteya, aparigraha sont tous trois des termes formés à partir du préfixe privatif sanskrit a- ; ils indiquent le fait de s’abstenir, de laisser, de lâcher. Quant au dernier, il dit quelque chose d’un peu différent, la « remise de soi » à un Autre. Ainsi les Yoga Sûtra tracent-ils un chemin qui va du lâcher prise à l’abandon.
    Ils insistent par ailleurs sur la décision qui préside à un tel choix. Le futur yogi doit cultiver une forme de tempérance ; il doit aimer l’intensité, l’ardeur brûlante. A ce prix, sa pratique lui obtiendra un corps et un esprit fermes, déliés, forts. Les Yoga Sûtra  nous disent très clairement que, sans volonté opiniâtre, il n’est pas de yoga, c’est à dire pas de voie de libération.
    Il y a donc un délicat équilibre entre « laisser » et « vouloir », mieux encore, une étroite corrélation, qui fonde la subtile progression du lâcher prise à l’abandon.
    Notre contexte contemporain diffère évidemment de celui des ascètes philosophes qui ont dessiné l’architecture du yoga.
    … Le message est à recevoir sans malentendu : acceptation n’est pas démission, lâcher prise n’est pas laisser aller. Mais c’est dans une certaine forme de faiblesse, là où la maîtrise vient à manquer, ne suffit plus pour avancer, l’acceptation apparaît comme une valeur spirituelle : quand on se démet des positions de toute puissance, qu’on se déprend d’attachements – d’ailleurs encombrants ou douloureux – pour accueillir une présence, une parole, un évènement dans la surprise de leur nouveauté. L’être humain apprend à se laisser faire par l’imprévisible de la vie. Et c’est alors qu’il découvre sa souveraine liberté.


    Ysé Tardan Masquelier
    Extrait de la Revue Française de Yoga – Juillet 2006

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