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Manas, le mental (4) -Comme la tige de rose sans épine-
4) Japâpushpanâlamiva nishkantakam
Iva comme ; nâlam la tige ; japâpushpa de rose (« la fleur du japa ») ; nishkantakam sans épine.
Comme la tige de rose sans épine
Quand on observe le va-et-vient du souffle, on s'aperçoit qu'il n'est pas "lisse", qu'il est constamment écorché et accroché par les "épines" de réminiscences émotionnellement chargées, ne serait-ce que par une trace d'attachement ou d' aversion. Au fur et a mesure que remontent ces souvenirs, la colonne du méditant perd sa belle verticalité de départ pour pencher d'un côté ou de l'autre, à la branche de rosier qui s'accroche à la manche d'un passant. Puis viennent des périodes de paix où le souffle peut aller et venir sans rien accrocher. Même si des images passent sur l'écran mental, elles ne perturbent plus la conscience, le souffle ou le corps de même que les courants d' air ne font pas osciller la flamme d'une lampe protégée par un verre. Il y a un moment où les souvenirs ne "piquent" réellement plus. Ceci est un espoir, une lumière au bout du tunnel pour les méditants. Dans la voie de la dévotion, on retrouve cette image de la montée et descente régulèere sur un axe lisse pour évoquer une récitation complètement régulière et réussie du mantra. On raconte qu' un démon est venu proposer à quelqu'un tous les biens qu'il voulait à condition qu'il le tienne tout le temps en activité en lui donnant de nouveaux voeux à réaliser. Sinon, serait dévoré. Cette personne accepte, demande toutes sortes de choses mais à un moment donné se trouve à court d' idées. Elle est alors poursuivie par le démon et affolée va se réfugier dans la grotte ou un sage méditait. Celui-ci saisit vite la situation et demande au démon de monter et descendre un poteau tout lisse, une tâche en fait sans fin, et de cette manière la personne est sauvée. C'est ainsi que la récitation du mantra peut libérer quelqu' un de ses démons et transformer une activité mentale auparavant pleine d'anicroches en un va-et-vient aussi doux que le contact de la main sur une tige de rose sans épines. Ce qui rend notre experience interieure "épineuse", c'est la mémoire. Celle-ci est le plus souvent dysfonctionnelle, attachée qu' elle est à ce qui n'existe plus.
La montée de l'énergie vitale, la kundalini, n'est pas elle non plus dépourvue d'anicroches, d'accrochages voire de déchirures avant qu'elle n'arrive à atteindre et vivifier les chakras supérieurs, et que la sève ne permette à la rose d' en haut de s' épanouir. Elle bondit de gauche et de droite vers ida et pingala, comme un singe impatient cherche à s'arracher au piquet auquel est lié, ou comme les épines s' écartent de la tige. Puis vient un moment ou la montée se fait toute seule, spontanément, par un courant ascendant lisse et continu. Ce n'est pas la réalisation, mais on pourrait appeler cela le début de la vraie pratique.
L'avant du tronc, le ventre et la poitrine, est associé à l'attachement affectif. Sa ligne médiane est appelée en acupuncture le méridien conception, c'est là que sont concues nombre de formations mentales qui encombrent la méditation. Plus on fait glisser la conscience, les courants de sensations vers l'arrière, plus on va vers le méridien "gouverneur" qui permet un meilleur contrôle du mental. Il correspond à la ligne médiane qui joint les épines dorsales. Classiquement, le canal central de la kundalini (sushumna) est décrit un peu plus en avant. On peut le visualiser comme un fil de toile d'araignée extrêmement lumineux. Pour prendre une image plus moderne, on pourrait parler d'un filament de lampe electrique qui serait étiré tout au long de la colonne. Une facon pratique de séparer l'observateur de l'observé, un travail fondamental du vedanta, consiste à détacher les sensations-pensées expérimentées à l'avant du corps de leurs racines dans le dos ; celui-ci ressemble alors à un mur dont on ôte le lierre en coupant une à une, ou d'un bloc, les racines de celui-ci.
Un jour, Ma Anandamayi se promenait dans une prairie avec son disciple principal, Bhaiji, celui auquel elle devait son nom qui signifie « toute pénétrée de joie ». Elle a ramassé une de ces fleurs dont les pétales sont comme du coton et s'envolent au moindre courant d'air. Elle a soufflé dessus, et a fait comprendre en substance à Bhaiji qu'il devait devenir comme cette fleur dont il ne restait que la tige, c'est-à-dire la dévotion pure de tout ego à la Mère divine, ou, du point de vue de la méditation, une énergie qui passe entièrement par le canal central, la sushumna.
La rose au bout de la tige est naturellement inclinée. Ceci peut évoquer une pratique de yoga, jalandhârâ-mudrâ, ou la tête est penchée vers l' avant avec le menton dans le creux de la gorge, le reste du dos étant droit. Dans la tradition chrétienne, l'inclinaison de la tête est considérée comme un signe d'avancement spirituel et de douceur intérieure. Une des pratiques des moines hésychastes est précisément d'avoir la tête inclinée en avant pendant la récitation de la prière du coeur. Dans les Psaumes, Dieu invective Israël en le traitant de "peuple à la nuque raide" et lui demande de ne pas endurcir son coeur. Point n'est besoin d'avoir fait des années d'études de psychologie pour se rendre compte que dans la colère, le dos se cambre, se cabre vers l'arrière comme chez un animal furieux. Elle provoque un spasme continu de la nuque, de la mâchoire et de certains muscles du cou. Il faut les relaxer régulièrement par une prise de conscience souriante, et éventuellement par une inclinaison de la nuque. Avec cette détente, l'énergie montante, à la place d'être projetée vers le visage (cf les expressions familières " la moutarde lui monte au nez " "il a vu rouge ") est projetée vers le troisième oeil, et même un peu au dessus.
Un des signes les plus clairs du moment de l'endormissement, c'est la relaxation complète des muscles de la nuque. En position assise, cela correspond à la tombée de la nuque vers l'avant. Si on fait ce mouvement intentionnellement, cela permet de rentrer plus facilement dans un état de sommeil profond hyperconscient, qui n'est qu' un autre nom du samadhi. Cette relaxation des muscles de la nuque induit de façon réflexe une détente des mâchoires et du bas-ventre et facilite un passage de l'énergie par le canal central. Dans certaines écoles comme le Soto-zen, on insiste beaucoup sur l'étirement de la nuque pour favoriser un état d'éveil. En fait, dans le jalandhârâ -mudrâ la nuque est aussi etirée, bien que dans une position différente. Les deux pratiques ne sont pas contradictoires. Si le méditant sent qu'il n'a pas assez d'énergie et souhaite être mieux réveillé, c'est bon qu'il pratique la tête droite ; mais s'il sent qu'il en a trop et que celle-ci risque d'exacerber son ego en augmentant sa tendance à la colère — c'est souvent le cas chez ceux qui font des retraites intensives et prolongées — à ce moment-la il a intérêt à travailler avec la tête inclinée en avant.
Articles précédents:
Manas, le mental (1) Du sein, du Soi, le fil du yoga
Manas, le mental (2) Rentrer en résonnance
Manas, le mental (3) Posture et joie
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