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Manas - Le mental (5) Le complexe désir-colère est le voile principal
5) kâmakrodha : pradhâinâvaranam
kâma le désir ; krodha la colère ; âvaranam voile ; pradhâna principal.
Le complexe desir-colère est le voile principal
Pour ceux qui ont l'expérience de la méditation continue lors de retraites prolongées, c'est une évidence. Les théories psychologiques, les métaphysiques et les ésotérismes diluent les choses, mais pour celui qui veut progresser, l'obstacle principal est le désir et la colère, et l'habileté dans la pratique consiste à savoir soit comment les désarmer, soit comment les transmuter. Le Soi est toujours là sous-jacent, mais il est recouvert par le complexe désir-colère de même que le feu à l'intérieur d'un volcan est recouvert par une croûte de lave en train de se refroidir et de se figer.
En sanskrit, on associe régulièrement les deux mots kâma, désir sexuel et krodha, colère. Le désir frustre engendre la colère, et celle-ci vient du désir de soulager une tension, les deux sont donc entremêlés. C'est pour cela qu'on peut parler à juste titre du "complexe" désir-colère. Le voile, la couverture, âvaranam, est une notion fondamentale du védanta. Le Soi n'est pas absent, mais est il voilé par notre agitation mentale et notre façon erronée de voir les choses ; et si on va à la racine de tout cela, on trouvera le désir et la colère comme cause principale de même qu'il y a une cause principale à la Nature physique ou subtile qu'on appelle pradhân dans le samkhya. Cette Nature « pradhân » est le premier voile sur la conscience pure (purusha), qui dans le samkhya primitif est démultipliée en chaque individu. Dans la Bhagavad-Gita, Krishna va droit au fait en parlant du désir et de la colère comme des deux portes de l'enfer. Quand Shiva, le dieu du Yoga est tenté par l'apparition de Kâmadev, le dieu du désir, il le brûle de son troisième oeil. Après Vishnou qui est chargé de la protection du monde vient se plaindre à lui en disant : « Comment la société pourra¬telle survivre, comment les enfants pourront-ils être conçus si le désir est détruit ? » Shiva accepte l'argument et redonne vie aux cendres de Kâmadev dispersées par le vent, c'est-à-dire qu'il réssuscite le désir mais sous la forme transmutée d'amour spirituel et universel. Ceux qui font beaucoup de méditation imposent de longues périodes d'immobilité à leur corps et à leur mental, et ceux-ci n'y sont guère habitués. D'où tension et désir de soulager cette tension par la colère. Cette dernière peut prendre volontiers le masque respectable de la colère juste, par exemple contre les pratiquants qui n'ont pas une vie exemplaire ou contre les enseignants qui répandent des idées fausses — il est vrai qu'il ne manque pas et qu'il ne manquera jamais ni des uns ni des autres. C'est pour cela qu'il faut se méfier tout particulièrement des colères qui semblent justifiées. Même si elles ne semblent pas graves de l'extérieur, elles sont comme le citron dont quelques gouttes suffisent à faire tourner un pot entier de lait. On fait bien de caricaturer le prophète de malheur qui prédit les pires catastrophes au peuple s'il ne suit pas les décrets du Tout-Puissant, décrets que bien sûr le dit prophète est le seul habilité à communiquer.
Le désir et la colère sont les deux grandes drogues, les deux grandes dépendances du mental. On sait bien en thérapie que le propre de quelqu'un de dépendant, c' est de ne pas vouloir reconnaître qu'il l'est. J'ai parlé dans un autre ouvrage d'un de mes patients alcooliques qui m' avait dit : « Docteur, je veux bien faire toutes les thérapies que vous voulez, mais surtout ne me demandez pas d'arrêter de boire. » C'est typique d'un paralogisme, c'est-à-dire d'un raisonnement qui semble logique alors qu'il est faux et dont le patient se sert pour se masquer à lui-même sa dépendance. Les justifications diverses des colères sacrées ou impulsions fanatiques sont aussi des paralogismes pour essayer de couvrir une dépendance, une addiction au plaisir à la base physique que procure une «bonne » crise de colère. De même, vue globalement, il y a toute une part de l'entreprise psychothérapique actuelle qui tient du paralogisme. On fait croire au patient qu'avec un travail de quelques weekends ou une cure de cent ou deux cent heures, il va devenir indépendant de ses impulsions de colère ou sexuelles en les gérant "rationnellement " ; ce n'est pas si simple. De même il y a un certain nombre de formes de spiritualités pour grand public qui sont sentimentales, voire tantrico-érotico-mystiques, ou l'on parle de l'amour à chaque phrase ; elles semblent tenir du paralogisme. Elles donnent l' impression de transmuter la force sexuelle et les émotions perturbatrices mais en fait entretiennent plutôt les gens dans leur accoutumance. Au vu de tout cela, il est bon de redire que le meilleur moyen de guérir d'une dépendance, c'est déjà de la voir en face sans chercher à la couvrir de raisonnements paralogiques. L'enseignement de l'Inde traditionnelle est fondé sur le Dharma, la Loi juste ; certes, à chaque génération, des intellectuels fatigués s'escriment à démontrer qu' elle n'existe pas, mais ils sombrent bientôt dans l'oubli, détruit par le temps inéluctable comme des insectes par le passage des saisons. Seule demeure la Loi juste.
J'ai souvent constaté que lorsque des gens font un début de démarche pour demander des conseils spirituels à quelqu'un de plus avancé et qu'on se met à leur parler d'une meilleure discipline dans leur vie sexuelle, ils deviennent irrités, voire furieux. Ceci prouve deux choses : d'une part, le désir et la colère sont intimement liés, nous l'avons vu ; d' autre part, le désir est à la racine de l' ego comme le nerf à la racine de la dent. Quand le dentiste le touche, le patient saute en l' air et si c'est un enfant, il peut même s'enfuir du cabinet pour ne plus y retourner. C'est là, en pratique, le principal obstacle à la transmission spirituelle. Les gens ont envie d'entendre ce qui leur plaît, et quand on leur dit ce qui leur est utile mais ne leur plaît pas, ils s' enfuient et ne reviennent plus.
Articles précédents:
Manas, le mental (1) Du sein, du Soi, le fil du yoga
Manas, le mental (2) Rentrer en résonnance
Manas, le mental (3) Posture et joie
Manas, le mental (4) -Comme la tige de rose sans épine-
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Commentaires
Très belle cette philosophie des arts martiaux....que l'on peut appliquer dans son quotidien même si elle est difficile. Trébucher et se relever.Toujours.
Belle vidéo.Ça donne envie. Je connais Bourg Argental.
Merci pour tous ces mots.
Tu as raison, je n'avais pas prêté attention à ce "plus avancé" qui amène à une notion de comparaison, de résultat...donc de futur. Pourtant beaucoup de gens vont dans des séminaires pour en attendre les conseils du "maître" qui leur apporterait des solutions....voir peut-être un miracle.
Or le maître n'est là, après avoir expérimenté et travailler longuement sur lui, que pour donner le travail à fournir qu'il ne pourra faire à notre place. Sa présence également est le reflet de ce qu'il Est.
Et puis on retourne à la maison, on est incapable de rester 5 mn assis sur une chaise à ne pas bouger, on se remet à manger n'importe quoi, bref, à vivre sans conscience....en rêvant du miracle.
Merci Miche!
""J'ai souvent constaté que lorsque des gens font un début de démarche pour demander des conseils spirituels à quelqu'un de plus avancé et qu'on se met à leur parler d'une meilleure discipline dans leur vie sexuelle, ils deviennent irrités, voire furieux. Ceci prouve deux choses : d'une part, le désir et la colère sont intimement liés, nous l'avons vu ; d' autre part, le désir est à la racine de l’ego comme le nerf à la racine de la dent. Quand le dentiste le touche, le patient saute en l’air et si c'est un enfant, il peut même s'enfuir du cabinet pour ne plus y retourner. C'est là, en pratique, le principal obstacle à la transmission spirituelle. Les gens ont envie d'entendre ce qui leur plaît, et quand on leur dit ce qui leur est utile mais ne leur plaît pas, ils s’enfuient et ne reviennent plus. ""
Je pense qu'il ne faut jamais considérer quelqu'un comme plus avancé.
Ce genre de comparaison, nous fait sortir de nous. Cela introduit la notion d'un chemin à accomplir d'un point à un autre, alors qu'il s'agit de toucher l'instant présent.
La fuite n'est jamais une solution, mais ne nous laissons pas endormir par les explications d'autrui, c'est de relation dont nous avons besoin. Dans la relation, personne ne détient un savoir sur l'autre, nous sommes.
Amitiés
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"Je pense qu'il ne faut jamais considérer quelqu'un comme plus avancé."
"c'est de relation dont nous avons besoin. Dans la relation, personne ne détient un savoir sur l'autre, nous sommes."
"Tu as raison, je n'avais pas prêté attention à ce "plus avancé" qui amène à une notion de comparaison, de résultat...donc de futur. "
AIMER
Dans la voie [martiale], le pratiquant ne juge pas plus l’autre que soi-même.
Cette totale absence de jugement est le premier pas vers la compassion.
Et cela est possible quand l’individu a compris que ses valeurs sont un point de vue sur le monde, c’est-à-dire lorsqu’il a intégré ses appartenances et qu’il renonce à dire la vérité universelle.
Ce qui permet cette intériorisation, c’est la pratique avec l’autre d’un geste commun qui exprime leurs différences respectives sans donner raison à personne.
C’est pourquoi il ne peut y avoir de compétition [dans les arts martiaux].
Pratiquer ensemble c’est faire l’expérience que l’identité de l’un et l’autre ne sont en rien menacées par la relation.
Aimer, [dans les arts martiaux], c’est faire le vide de soi pour que l’autre puisse y faire
l’expérience de lui-même dans une relation qu’il construit selon sa propre culture.
Le pratiquant qui sait être le vide n’abdique pas de son identité, au contraire.
Elle est si profondément ancrée en lui qu’elle n’a pas besoin de s’extérioriser,
de se représenter dans ses relations.
Le non-faire expressif, c’est la manière d’aimer [du budo]
et c’est l’unique didactique du maître.
Budoka: celui qui pratique le budo.
Budo: les arts martiaux à visée éducative et non violente.
VIVRE SANS ENNEMI
André Cognard
http://www.youtube.com/watch?v=zQcDBPjHPvQ&feature=related
Puissions-nous, dans la pratique de notre vie de tous les jours, faire le vide de soi pour que l’autre puisse y faire l’expérience de lui-même, selon sa vraie nature.
Namasté