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L'humain entre ciel et terre
Où il faut commencer par réaliser que nos pieds sont reliés à notre tête. Où nos membres devraient être comme suspendus à notre squelette. Où trouver son axe, c'est se libérer du regard des autres. Où la clé de l'évolution a la forme d'une croix, que chacun porte en lui-même. Catherine Gaillet fut danseuse classique, dans la grande tradition française, à l'opéra. Elle exerce aujourd'hui une activité de psychothérapeute corporel, suivant une méthode qui associe le mouvement et la parole.
Catherine Gaillet nous raconte comment, dans sa pratique, elle « lit » la vie intérieure d'une personne dans la façon dont celle-ci se tient debout et bouge, et comment notre redressement physique entre en résonance avec un redressement psychique, éthique et spirituel. Catherine a fait de l'intuition son outil de travail essentiel et, selon elle, la meilleure façon de percevoir l'autre émane de son attitude posturale. Il s'agit d'une écoute extrêmement subtile, humble, dépouillée, libre... Chrétienne, elle estime que tout se joue dans l'intersection, en nous, de la verticale et de l'horizontale, qui est le vrai sens de la croix.
Nouvelles Clés : En cette année du bicentenaire de Darwin, beaucoup de savants planchent sur le thème de l'hominisation et de la verticalisation de nos ancêtres. La chose ne regarde pas que les scientifiques. Tout humain a le droit de s'interroger sur le processus qui a conduit jusqu'à lui, jusqu'à nous. Pour vous, qui avez été danseuse et qui exercez aujourd'hui comme psychothérapeute chrétienne, que signifie la station debout ?
Catherine Gaillet : Notre verticalité ne nous quitte jamais, nous la transportons avec nous tout le temps. Quand vous vous mettez debout, vous le faites avec toute votre histoire. Tout ce qui vous est arrivé, toutes les tensions, les choses difficiles, affectives, aussi bien que les ouvertures, la créativité, tout ce qui a traversé votre corps sont là, avec vous, au zénith de vous-même. C'est obligatoire. Toute notre histoire nous traverse. C'est ainsi que le mouvement germe depuis l'intérieur de vous. Cela dit, en tant qu'ancienne danseuse, je dois tout de suite ajouter qu'il n'y a jamais de verticale sans horizontale - cela ne peut pas exister. Vous ne vous élèverez jamais sans retomber, vous ne tomberez jamais sans rebondir. La verticale est indissociable du croisement où elle recoupe l'horizontale. Et dans votre corps, cette jonction s'opère au niveau du sternum.
C. : Pas dans le ventre ?
G. : Jean-Jacques Rousseau disait que la première raison de l'homme était sensitive et que vouloir lui substituer des livres revenait à croire sans savoir. J'ai beaucoup travaillé là-dessus. Nous avons plusieurs centres, dont les deux principaux sont le sternum et le ventre. Si vous entrez en résonance avec votre raison sensitive, vous découvrez que vos deux pieds, vos deux mains, votre tête et votre sacrum constituent six extrémités reliées à votre ventre. Quand on voit des étoiles de mer, si on les chatouille à leur extrémité, c'est tout le centre qui va se recroqueviller. Leurs extrémités sont reliées à leur centre et nous ne sommes pas différents des étoiles de mer ! Ce sont ces extrémités qui amènent la sève qui nous permet d'exister. Nos deux mains et nos deux pieds nous amènent la vie, l'action, la communication, le mouvement. Le sacrum, lui, est une plongée dans le sol... Je ne me place pas du point de vue de l'anatomie, mais du mouvement et de la vie du corps. Mais le croisement de la verticalité et de l'horizontalité, de la flèche de vos jambes, de votre tronc et de votre tête, d'une part, et de vos deux bras en extension, d'autre part, cette croix-là, elle, passe bien au milieu de votre poitrine. Elle ne peut se croiser que là.
À partir de cette croix, au centre de nous, se déploie une sphère, à l'intérieur de laquelle nous allons pouvoir bouger, vivre, aimer, aller vers l'autre, nous arrêter. Vous le comprendrez particulièrement bien en imaginant un funambule, en équilibre dans le vide, sur un fil. À chaque seconde, sa vie dépend du fait qu'il sait intégrer en lui le croisement de la verticale et de l'horizontale. Et cela ne peut fonctionner que parce qu'il avance, tendu vers un but. C'est de l'ordre de la conscience profonde - et aussi d'un intense entraînement quotidien !
Que ce mouvement soit à reconstruire tous les jours, c'est bien évident. La verticalité est une sève qui ne cesse s'élever. Mais nous pouvons nous retrouver à sec, en panne de sève. C'est donc une quête, une recherche, un travail. Il va falloir tout faire pour rester éveillé. La montée de sève en dépend. La métaphore végétale fonctionne d'autant mieux que les plantes prennent toutes les formes, et pas seulement celle de l'arbre droit comme un i. La sève s'écoule aussi bien dans un arbuste qui rampe au sol. De la même façon, on peut être handicapé, rivé dans un fauteuil roulant, voire cloué au lit, et pourtant se tenir dans une très belle verticalité. Celui qui se retrouve ainsi limité dans ses mouvements, va devoir chercher sa droiture autrement. Il n'y a pas que les êtres debout qui se tiennent droit. J'aime beaucoup cette image. Tout le monde peut accéder à la verticalité, et pas forcément les gens bien portants et intelligents.
Cette perception intime n'est pas d'ordre intellectuel. Même si l'on peut en parler - c'est même conseillé. Qu'en dire ? Que ressent-on de cette axialité en nous, ou de son absence ? Qu'en fait-on et comment s'organise t-on avec tout ça ? C'est aujourd'hui l'objet de mon travail avec mes patients.
C. : C'est une façon peu courante de parler de psychothérapie...
G. : Rien de compliqué, en réalité : il s'agit de redonner à chacun confiance en lui-même. J'aime la phrase biblique : « Lève-toi et marche ! » Prends ton brancard, passe de l'horizontalité à la verticalité, mais, en alliant les deux dans le sens du mouvement. Tu peux y aller, tu as cette liberté ! La verticalité est de l'ordre de la liberté intérieure. L'horizontalité l'oblige à s'incarner. Ce n'est pas forcément votre posture corporelle qui compte, car celle-ci est fonction de toute votre histoire, que vous ne pouvez pas changer.
Quand une personne vient me consulter pour la première fois, je pars de son attitude posturale qui me raconte son histoire. Chaque émotion, chaque parole, chaque pensée induit un mouvement qui s'inscrit en nous, depuis la naissance, et même avant. On parle beaucoup de l'approche psychosomatique, mais l'inverse existe : l'approche somatopsychique, le mouvement qui guérit la tête. C'est un peu cela, mon travail...
Nous sommes pareils et tous très différents. Trait général : nous utilisons très peu de nos capacités gestuelles. Nos mémoires sont inscrites autant dans nos extrémités que dans nos muscles. La musculature profonde est celle qui tient notre squelette réuni, elle est collée aux os et enregistre toutes nos émotions. L'un des muscles qui enregistre le plus immédiatement notre histoire, c'est le diaphragme, dans le thorax. Si vous touchez au diaphragme et à la respiration, vous touchez en fait à toute l'histoire de la personne. C'est donc un travail délicat, subtil, qu'il serait dangereux de confier à n'importe qui. Si vous réussissez à faire baisser la garde qui verrouille le diaphragme d'une personne, toute son histoire va se dévider, comme un film ! En temps ordinaire, nous avons besoin de nos défenses, qui cadenassent notre mémoire profonde - sinon, nous serions trop vulnérables.
Bref, notre musculature enregistre notre histoire et c'est elle qui nous donne notre attitude posturale. C'est elle qui fait que notre colonne va se plier, qu'on va se tenir un peu de travers. Ou penché en avant, ou en arrière. À travers elle, notre vie sculpte notre corps. Les gens très voûtés s'en sont pris plein la figure, d'une manière ou d'une autre, et ont du mal à résister. Ils ont dû plier devant quelque chose de très douloureux. Ce qui est intéressant et touchant, c'est que, malgré toutes les épreuves qui déforment les silhouettes, vous découvrez que le regard, lui, va toujours faire en sorte de corriger le tir. Par son regard, même Quasimodo, tout tordu, réussit à conserver une verticale et une horizontale. Sinon, il ne pourrait plus du tout marcher, ni rien faire. Quelles que soient les déformations, il y aura toujours cette recherche d'équilibre. Par les yeux, le corps s'arrange, s'adapte.
La thérapie part de là. Quitter ses « mauvaises habitudes » de mouvements, de gestes, de corps revient à quitter toute une partie de notre mémoire, profondément inscrite en nous, et cela prend du temps. Des mois, des années, une vie. Il va falloir que la personne pose un autre regard sur elle-même, qu'elle se fasse confiance, quitte ses peurs, range ses tâches inaccomplies. Alors seulement, autre chose peut naître...
C. : Nos attitudes posturales racontent notre histoire. Mais un geste ne peut-il pas mentir ? Par exemple si je suis un très bon comédien.
G. : Même pour un très bon comédien, ce genre de mensonge n'est pas possible. Les yeux parlent trop de l'âme ! Notre peur, notre franchise, notre courage y sont inscrits. Comme ils le sont dans tous nos gestes. Le regard est un geste. Les rictus aussi, ou les tics, les petits tapotements, les impatiences, la manière dont nous censurons les choses, le moindre détail raconte notre histoire. Personne n'a d'histoire facile, mais on voit des gens qui s'habitent et d'autres qui ne s'habitent pas, qui restent à l'extérieur d'eux-mêmes. De toute façon, cette présence à soi n'est pas constante, il y a un va et vient entre le dehors et le dedans. Savons-nous rester avec nous-mêmes ? Être et non pas paraître ? Voilà aussi ce que signale notre plus ou moins belle verticalité.
Partant de là, il s'agit de faire en sorte que la personne qui vient consulter se mette en mouvement, aille quelque part, évolue vers une certaine liberté. L'objectif est qu'elle se sente finalement verticalisée dans sa propre histoire. Si vous partez d'une histoire toute bossue, quelle verticalité allez-vous atteindre ? Chaque personne est unique.
Certes, il y a des constantes physiques. Il va d'abord vous falloir prendre conscience des lieux stratégiques de votre corps, de vos points d'appui, de vos pieds, de vos talons. Le poids de vos talons appuyant sur le sol passe par des lignes de force, qui traversent vos tibias, vos fémurs, votre bassin, votre colonne vertébrale, pour arriver à votre occiput. Si je me tiens debout sur mes talons, je suis à la verticale. Mais si je suis assise, je peux être aussi me trouver dans une verticalité, puisque je m'appuie sur mes ischions (ces os du bassin sur lesquels nous sommes assis). Les points d'appui du funambule sont ses pieds sur la corde et son regard stabilisé sur l'horizon grâce à son balancier. Tout comme la personne à mobilité réduite aura pour points d'appui les pneus de son fauteuil roulant...
Tout mon travail consiste en somme à faire prendre conscience que nos pieds sont reliés à notre tête ! Si nous existons « là-haut », dans notre cerveau, nos pensées, nos rêves, c'est parce que nous avons des pieds. Tout comme l'arbre ne pourrait avoir de branches ni de feuilles s'il n'avait de racines. D'où que nous partions (d'une histoire difficile, au flux vital étranglé, ou d'une histoire privilégiée, débordante de créativité), si nous voulons changer, avancer, évoluer, cela passe forcément par une traversée de notre corps entier, des pieds à la tête. Notre verticalité s'inscrit dans cette double dimension : le bassin, qui est une plongée vers le sol, la colonne, qui est un élancement vers le ciel. Qui veut pouvoir s'élever vers le ciel, doit forcément savoir descendre vers la terre. Et c'est notre vie durant que nous devons travailler dans cette double direction. On ne tire pas sur les fleurs pour les faire pousser. Il faut prendre le temps de la prise de conscience de cette plongée dans le sol.
Notre histoire nous traverse. Notre évolution aussi. Et le chemin le plus simple pour le comprendre, c'est de respirer en conscience, parce que notre respiration, elle aussi, nous traverse de part en part. Tout est relié dans notre corps. Même nos pensées les plus abstraites sont corporelles. La moindre de vos pensées provoque un mouvement imperceptible. S'en rendre compte est une part essentielle de notre verticalisation. La parole est corporelle. Sans larynx, nous ne pouvons plus parler. Les sens - sentir, écouter, boire, manger, toucher, aimer -, sont bien sûr corporels. Et la spiritualité, elle aussi, est d'abord d'ordre corporel. Quelle relation ai-je avec l'autre ? Que puis-je donner de moi ? C'est de la verticalité pure, et cela englobe en fait toute la personne. Un être unifié pourra en même temps tomber, rebondir, tourner, courir, marcher, ouvrir les situations, ne pas rester en impasse... Pour moi, fondamentalement, être vertical veut dire se relier.
C. : Plus je vous écoute, plus je vois l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, bras et jambes ouverts dans la quadrature de son cercle vital.
G. : Il occupe une sphère. Chacun de nous occupe une sphère, elle-même décomposable en sphères plus petites. Regardez la tête, qui repose sur la fameuse vertèbre atlas, qui a donné le nom aux Atlas de géographie, parce que, comme le héros grec, ils portent le monde. Ces sommets sont magnifiques, mais il n'y a pas de tête sans relation aux pieds. Cela me ramène à mon premier métier. À la danse. Depuis l'origine de l'humanité, nos congénères ont effectué cette prise de conscience de l'axe qui les traverse par la danse. C'est en martelant le sol de nos pieds, que nous provoquons en nous ce saisissement de tout notre être, cette relation du corps au cœur, du cœur à l'âme. Si cela restait purement intellectuel, la porte resterait fermée. On ne serait pas dans l'humilité suffisante pour accueillir ce qui est. C'est un chemin de vie que je ressens profondément.
Savoir que vos pieds portent tout votre corps, c'est donner l'importance qui lui est due à votre poids. Nous occupons un volume. Tout est volume dans le corps. Nous occupons un espace dans l'espace, et cet espace, nous pouvons déjà l'occuper. Mais souvent, nous ne le faisons pas de la bonne manière. Nos bras et nos jambes devraient être beaucoup plus détendus, comme suspendus à nos deux ceintures claviculaire et pelvienne, le mouvement se trouvant impulsé par notre centre ventral, que les Japonais nomment le hara. Au lieu de quoi, on voit des gens qui marchent avec leur tête ! Alors que la tête devrait être tranquillement portée par la colonne, libre de bouger instantanément partout où son attention l'appelle. Si nous respectons cela, nous ne portons plus le même regard sur notre histoire et une autre histoire va s'inscrire en nous. Or, c'est notre histoire qui nous fait nous tenir debout !
Mais plus nous avançons dans le « progrès » civilisationnel, moins nous pratiquons de mouvements. Certains mouvements se perdent totalement. Regardez celui du semeur, avec son sac, en rotation spirale. Avec l'ordinateur, des pathologies particulières surgissent. Les gens ont des problèmes de vision, des crampes terribles, des tendinites. Ils n'arrivent plus à dormir, sont complètement à cran. L'ordinateur est très dangereux. Pour récupérer de huit heures d'ordinateur, il faut à peu près deux nuits de sommeil.
Pour quitter cette statique de bureau, d'ordinateur, de voiture, les gens vont dans des gymnases, où ils pratiquent souvent des mouvements rapides, extrêmes, violents. Une certaine douceur leur manque à l'évidence. Un peu comme si l'on voulait fièrement prouver au monde que l'on existe. Les gens qui portent leur ego dans un torse bombé ne veulent surtout rien savoir de leur fragilité. Ils se voudraient forts, mais sont très fragiles, au fond. Mon travail consiste aussi à faire fondre cette carapace, pour qu'ils puissent accéder à l'autre. La verticalité n'est pas de l'ordre de l'ego, mais de l'humilité, de l'accueil et de l'acceptation de sa fragilité. Comprenez-moi bien : nous avons tous besoin d'un ego, sinon ne pourrions plus agir du tout. Mais cet agir ne doit pas s'imposer par une volonté rigide - car alors, on risque de sérieusement se casser la figure. Une fausse verticalité psycho-rigide peut s'écrouler du jour au lendemain. Nul ne sait ce qu'il sera demain : d'un jour à l'autre vous pouvez vous retrouver étalé à l'horizontale et avoir besoin que quelqu'un vienne vous prendre la main. Celui qui se tient réellement droit sait cela
C. : Vous travaillez essentiellement à partir du geste. Mais ce cheminement passe aussi par la parole...
G. : Autant par la parole que par le mouvement, mais une parole issue des profondeurs. Cela peut aussi passer par le dessin... En fait, j'ai du mal à expliquer mon travail. C'est de l'ordre de la relation intuitive. Déjà enfant, j'avais l'intuition de l'autre par le mouvement. Ce n'était pas ses paroles qui me faisaient connaître autrui, mais plutôt la manière dont il regardait, bougeait, se posait. Cette connaissance-là, immédiate, m'a toujours guidée et permit de trouver mon chemin, de me faire confiance et d'exercer mon métier. Avoir de l'intuition, c'est quitter ce que l'on a appris, toute la culture que l'on a pu engloutir, arrêter de lire des livres, de chercher à l'extérieur ce que l'on a à l'intérieur de soi. Avoir de l'intuition, c'est se faire confiance et “entrer en soi”, comme dans la parabole de l'enfant prodigue : “ Alors, entrant en lui-même... ” C'est trouver son propre axe et quitter le regard des autres, l'influence des “maîtres”. Après avoir travaillé pendant des années à la barre, le danseur s'élance librement dans l'espace...
Dans ma pratique de thérapeute, je suis envahie par quelque chose de l'autre qui me guide vers telle ou telle partie de lui. Mon travail consiste à rassembler, réunir, relier toute la personne à la manière d'un puzzle, réconcilier toutes ces parties dispersées - mais surtout sans rien vouloir pour lui, en le prenant juste où il en est, avec ce qu'il est. C'est à cette condition seulement que l'intuition peut émerger. Écoute muette du mouvement, de sa fluidité, l'intuition est affinement de la relation, du regard qu'on porte sur l'autre. L'intuition est singulière, elle dépend de chacun, qui est unique. Elle ne peut exister que si l'on effectue une forme de dépouillement. Elle est liée à la lenteur, à un désir de qualité de vie, et jamais ne pourra naître d'un bouillonnement effervescent. Elle sort, pour le coup, des profondeurs du ventre !
C. : On en revient au hara, au centre du ventre...
G. : Le ventre est une caisse de résonance pour absolument tout ce qui nous arrive. En retour, beaucoup de pathologies, de stress, nous viennent de là. Le hara se situe trois centimètres au-dessous du nombril, qui se trouve, lui, pile en face de la troisième lombaire. « Descendre dans son hara », c'est avant tout prendre conscience de son bassin. De son assise. Bouddha est assis dans son bassin. En fait il le sort, son ventre ! Souvent, quand les gens viennent me consulter, surtout les femmes, je suis étonnée de les voir, fesses serrées, assis sur l'extrême bord de leur chaise, prêts à démarrer en trombe. Leur assise n'a pas d'ancrage. Or, quoi qu'il nous arrive, nous avons toujours intérêt à pouvoir prendre un minimum de recul par rapport aux événements. Ne va pas se projeter tout de suite dessus. Nous ne sommes pas l'événement, nous sommes autre chose, qui traverse l'événement. L'événement arrive, qu'est-ce qu'on fait ? Je ne suis pas forcément obligée d'y réagir tout de suite. Si je sors un peu mon ventre, si je suis vraiment assise dans mon bassin, je suis garantie d'un minimum de détente. À l'inverse, si je me tiens en permanence sur mes gardes, sur la pointe des fesses, prête à partir, toute la tension va finalement se porter dans la tête qui, la pauvre, pèse alors des tonnes.
Quand les peuples premiers disent que les Occidentaux sont trop « dans la tête », c'est tragiquement vrai. L'occidental est littéralement projeté vers l'avant, il doit toujours « aller vers ». Vers où ? Peu importe, mais il faut que ça aille vite. Que ce soit à pied, en voiture, ou devant son ordinateur, il fonce et en perd forcément ses racines, sa relation avec le sol. Du coup, tout son élan part dans sa tête et le voilà gravement déséquilibré. Le bouddha, lui, est posé. S'il se lève, c'est en prenant appui dans le sol. Il a ses racines. Il se lève avec toute son histoire. Il ne s'endort pas en se satisfaisant du statu quo. Il reste éveillé, précisément à l'endroit où son axe vertical croise son horizontalité, là où une croix se rejoint, au centre de lui. Voilà l'homme debout !
C. : Est-ce une erreur ou vous parlez aussi de la croix au sens de la crucifixion christique ?
G. : Je suis chrétienne, c'est vrai. On peut être crucifié, bien sûr, par des évènements de la vie. Mais quand j'entends : « Je porte ma croix, je suis crucifié », j'entends surtout : « Vas-y, prend-toi en main, porte ta croix ! » Pour moi, la résurrection, qui reste un mystère insondable, participe du même élan. Il s'agit de se demander : quelle existence aurai-je finalement menée ? Qu'aurai-je transmis ? Ai-je essayé de tracer un vrai chemin de vie dans ce que je suis, d'échange, d'amour ? Une vie rayonnante transmet forcément de l'amour à autrui. La résurrection est quelque chose qui se transmet de personne à personne, sur des siècles. Un jour peut-être, l'amour prendra le pas sur la violence, même si nous savons que nous aurons toujours en nous une violence dont on ne peut se débarrasser, parce qu'elle participe de la nature même de notre élan de vie. Mais réussir à transformer cette énergie de violence en amour, c'est peut-être ça, la résurrection.
C'est vrai qu'il y a aussi des êtres qui demeurent jusqu'au bout incroyablement inhumains. Ce sont des gens qui n'ont plus du tout accès à leur cœur, à leur fragilité. Ils ont perdu la clé pour accéder à leur capacité d'aimer. Pourtant, ils portent cette clé en eux, quelque part. Nous la portons tous.
La croix de Jésus est profondément enracinée dans la terre. Avec la grande verticalité de son corps et l'horizontalité de ses bras, elle s'inscrit dans un cercle, une sphère de métamorphose. La vie commence par une inspiration et s'achève par une expiration. La première nous met dans la verticale, la seconde dans l'horizontale. Horizontaux, c'est quand même ainsi que terminerons tous ! Entre les deux, nous aurons connu une certaine évolution. Évolution inachevée, forcément inachevée. Magnifique inachèvement, qui nous permet d'être créatif, d'aller vers... quelque chose. Mais ne confondons pas avec la projection vers l'avant de l'homme pressé sans racines, dont nous parlions il y a un l'instant. Ici, nous avons une recherche verticale, justement, inscrite dans l'axe qui relie la Terre au Ciel.
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Commentaires
3VJJeudi 21 Janvier 2016 à 10:212oliviaJeudi 21 Janvier 2016 à 10:04
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Et oui les amis, ça en jette!
Cet article splendide tombe vraiment à pic dans mon chemin présent, comme la pièce du puzzle que je cherchais. Pas de hasard, jamais. Merci à l'auteur, merci à toi de l'avoir relayé.