• Reverdir le désert

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    Un entretien avec Masanobu Fukuoka, par Robert et Diane GilmanA lire ici : "L’agriculture du non-agir de Masanobu."


     

    Robert: Qu'avez-vous appris durant ces 50 ans de travail sur ce que les gens peuvent faire avec leur agriculture?


    Masanobu: Je suis un petit homme, comme vous pouvez le voir, mais je suis venu aux Etats-Unis avec un grand but. Ce petit homme devient de plus en plus petit, et ne va pas durer très longtemps, et je voudrais donc partager mes idées de 50 ans. Mon rêve et comme un ballon. Il peut devenir de plus en plus petit, ou il peut devenir de plus en plus gros. Si cela pouvait être dit d'une manière brève, cela se dirait comme le mot "néant". Mais cela pourrait secouer la terre entière.

     

    Je vis sur une petite montagne, faisant ma ferme. Je n'ai aucune connaissance. Je ne fais rien. Ma façon de faire de l'agriculture est de ne pas cultiver, de ne pas fertiliser, et de ne pas utiliser de produits chimiques. Il y a dix ans, mon livre One Straw Revolution [La révolution d'un seul brin de paille], a été publié aux USA par Rodale Press. De ce moment je ne suis plus parvenu à simplement dormir dans les montagnes. J'ai pris un avion pour la première fois de ma vie il y a sept ans et je suis venu à Boston, en Californie, à New York City. J'ai été surpris parce que je pensais que les Etats-Unis étaient  un pays très vert, mais il m'est apparu comme une terre morte.
    J'ai ensuite parlé de mon agriculture naturelle au responsable du département des déserts des Nations Unies. Il m'a demandé si mon agriculture naturelle pouvait changer le désert d'Irak. Il m'a dit de développer un moyen pour faire reverdir le désert. J'ai pensé à ce moment que je n'étais qu'un pauvre fermier sans pouvoir ni connaissances, et je lui ai dit que cela m'était impossible. Mais à partir de ce moment j'ai commencé à penser que ma tâche est de travailler sur le désert.

    J'ai voyagé à travers l'Europe il y a quelques années. Il m'a semblé que l'Europe était très belle, et avait beaucoup de zones naturelles préservées. Mais à cinquante centimètres sous la surface, j'ai senti le désert arriver lentement. Je me suis demandé pourquoi. J'ai réalisé que c'était dû à l'erreur qu'ils faisaient dans l'agriculture. Les débuts de cette erreur sont dans l'élevage de la viande pour les rois et du vin pour l'église. A l'entour, ce ne sont que troupeaux, troupeaux, troupeaux, vigne, vigne, vigne. L'agriculture Européenne et Américaine a commencé avec des troupeaux qui pâturent et des vignes qui poussent pour les rois et l'église. Ils ont changé la nature en faisant cela, tout particulièrement sur les flancs des collines. L’érosion des sols apparaît alors. Seuls les 20% du sol des vallées restent sains, et 80% de la terre est épuisé. Puisque cette terre est épuisée, ils ont besoin de fertilisants et de pesticides chimiques. L'agriculture des Etats-Unis, de l'Europe, et même du Japon, a commencé en retournant la terre. Cultiver est aussi lié à la civilisation, et c'est là que commence l'erreur. Dans la vraie agriculture naturelle, on ne cultive pas, on ne laboure pas. L'utilisation de tracteurs et d'outils détruit la vraie nature. Les plus grands ennemis des arbres sont la scie et la hache. Les plus grands ennemis du sol sont la culture et le labour. Si les gens n'avaient pas ces outils, ce serait meilleur pour tout le monde.

    Puisque ma ferme n'est pas cultivée, n'utilise pas de fertilisants ou de produits chimiques, de nombreux animaux et insectes y vivent. Ils utilisent les pesticides pour tuer un certain type de nuisibles, ce qui détruit l'équilibre de la nature. Si nous parvenons à nous en passer, une nature parfaite reviendra.


    Robert: Comment avez-vous appliqué votre méthode aux déserts?


    Masanobu: L'agriculture chimique ne peut changer le désert. Ils ne peuvent le faire même avec un tracteur et un gros système d'irrigation. J'ai réalisé que l'agriculture naturelle est indispensable pour que le désert retourne à la verdure. La méthode est très simple. Semez simplement quelques graines dans le désert. Voici la photo d'une expérience en Ethiopie. Cette zone était très belle il y a 90 ans, et elle ressemble maintenant au désert du Colorado. J'ai donné les semences pour 100 variétés de plantes aux gens en Ethiopie et en Somalie. Les enfants ont planté les graines, et les ont arrosées pendant trois jours. La température élevée et l'absence d'eau ont fait que les racines ont rapidement plongé dans le sol. Les radis Daikon poussent maintenant à cet endroit. Les gens pensent qu'il n'y a pas d'eau dans le désert, mais même en Somalie et en Ethiopie, ils ont une grande rivière. Ce n'est pas qu'il n'y a pas d'eau. Cette eau se trouve juste sous la terre. On trouve l'eau entre 2 et 4 mètres de profondeur.


    Diane: Vous utilisez l'eau juste pour la germination, puis vous laissez les plantes se débrouiller?

    Masanobu: Dix jours ou un mois après, elles ont encore besoin d'eau, mais il ne faut pas trop les arroser, pour que les racines descendent profondément. Il y a des gens en Somalie qui ont maintenant un jardin personnel. Le projet a démarré avec l'aide de l'UNESCO et beaucoup d'argent, mais il n'y a aujourd'hui(1986) qu'un couple de personnes qui s'occupe de l'expérience. Ces jeunes gens de Tokyo ne connaissent pas grand chose à l'agriculture. Je pense qu'il est mieux d'envoyer des graines aux gens de Somalie et d'Ethiopie, plutôt que leur envoyer du lait et de la farine, mais il n'y a pas de moyen de leur en envoyer. Les gens de Somalie et d'Ethiopie peuvent semer des graines, ce dont même les enfants sont capables, mais les gouvernements Africains, les Etats-Unis, l'Italie, la France n'envoient pas de graines, mais seulement de la nourriture et des vêtements. Les gouvernements Africains découragent les jardins personnels et la petite agriculture. Les graines pour jardin sont devenues rares durant les 100 dernières années.

     

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    Diane: Pourquoi ces gouvernements font-ils ainsi?


    Masanobu: Les gouvernements Africains et le gouvernement des Etats Unis veulent que les gens ne fassent pousser que cinq ou six variétés de café, de thé, de coton, pour l'exportation et pour faire de l'argent. Les légumes ne sont que de la nourriture, ils ne rapportent pas d'argent. Ils disent qu'ils vont fournir le maïs et le blé pour que les gens n'aient pas besoin de faire pousser leurs propres légumes.


    Robert: Avons-nous aux Etats-Unis le type de graines qui pourrait correctement s'acclimater à ces régions d'Afrique?


    Masanobu: De fait, j'ai vu ce matin dans cette ville (Port Townsend) de nombreuses plantes dont des légumes, des plantes ornementales et des céréales qui pousseraient dans le désert. Des plantes comme les radis Daikon, ou d'autres variétés comme l'amarante (amaranth ndt)  ou des plantes grasses poussent même mieux là-bas que dans mes champs.


    Robert: Donc si les gens aux Etats-Unis, au Japon et en Europe veulent aider les gens en Afrique, et réduire le désert, suggèreriez-vous qu'ils y envoient des graines?

    Masanobu: Quand j'étais en Somalie, j'ai pensé que s'il y avait 10 fermiers, un camion et des semences, il serait alors très facile d'aider les gens de l'endroit. Ils n’ont pas d'herbe pendant la moitié de l'année, ils n'ont pas de vitamines, et tombent évidemment malades. Ils ont même oublié comment manger les légumes. Ils mangent juste les feuilles mais pas la partie comestible des racines.

    Je suis allé à l'Olympic National Park hier. J'ai été très surpris et j'en ai presque pleuré. Là, Le sol était vivant ! La montagne ressemblait au lit de Dieu. La forêt semblait vivante, ce que vous ne trouvez même pas en Europe. Les arbres de Californie et les prairies Françaises sont superbes mais c'était bien le plus beau ! Les gens qui vivent par ici ont de l'eau, du bois de chauffage et des arbres. C'est comme le Jardin d'Eden. Si les gens sont vraiment heureux, cet endroit est une vraie Utopie.

    Les gens dans les déserts n'ont qu'une tasse, un couteau et une marmite. Certaines familles n'ont même pas un couteau, et doivent couper leur bois à coups de rochers et le transporter sur des kilomètres. J'étais très impressionné  par cette belle région, mais j'avais au même moment mal au cœur en pensant aux gens du désert. La différence est la même qu'entre le paradis et l'enfer. Je crois que le monde en arrive à un point très dangereux. Les Etats-Unis ont le pouvoir de détruire le monde, mais aussi d'aider le monde. Je me demande si les gens de ce pays se rendent compte que les Etats-Unis aident les gens en Somalie mais sont aussi en train de les tuer. Ils leurs font cultiver du café, du sucre et leur donnent de la nourriture. Le gouvernent Japonais fait la même chose.  Il donne des vêtements et le gouvernement Italien donne des macaronis. Les Etats-Unis veulent en faire des mangeurs de pain. Les gens en Ethiopie cuisinent le riz, l'orge et les légumes. Ils sont heureux en restant des petits agriculteurs. Le gouvernement des Etats-Unis leur dit de travailler, travailler comme des esclaves dans une grande ferme, en cultivant du café. Les Etats-Unis leur disent qu'ils peuvent faire de l'argent et devenir heureux de cette manière. Un professeur japonais, un collègue, a dit après avoir visité la Somalie et l'Ethiopie que c'était l'enfer sur terre. J'ai dit "Non, c'est l'entrée du paradis". Ces gens n'ont pas d'argent, pas de nourriture, mais ils sont très heureux. Ils sont heureux parce qu'ils n'ont pas d'écoles ni de maîtres. Ils sont heureux lorsqu'ils transportent de l'eau, lorsqu'ils coupent du bois. Ce n'est pas une chose, difficile pour eux, ils aiment vraiment faire cela. Il fait très chaud entre midi et trois heures, mais sinon il y a du vent, et il n'y a pas de mouches ou de moustiques.

     

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    Les gens aux Etats-Unis, plutôt que d'aller dans l'espace, pourraient ensemencer les déserts depuis la navette spatiale. Il y a beaucoup de compagnies de semences affiliées à des entreprises multinationales. Ils pourraient ensemencer à partir d'avions.

    Diane: Si l'on jetait les graines ainsi, les pluies seraient-elles suffisantes pour les faire germer?


    Masanobu: Non, ce n'est pas assez, donc je sèmerai des graines enrobées pour éviter qu'elles se dessèchent ou qu'elles soient mangées par les animaux. Il y a probablement différentes manières d'enrober les graines. Vous pouvez utiliser de la terre, mais il faut que cela colle, ou utiliser du calcium.


    Ma ferme a de tout: des arbres fruitiers, des légumes, des acacias. Comme dans mes champs, il faut tout mélanger et semer au même moment. J’ai pris dans les 100 variétés d'arbres greffés là, deux de chaque, et la plupart, dans les 80%, y poussent maintenant. La raison pour laquelle je dis d'utiliser un avion, c'est que pour tester, vous utilisez juste une petite zone. Mais pour faire reverdir une grande zone, tout ceci doit être fait en une seule fois ! Vous devez mélanger les arbres et les légumes; c'est le moyen le plus rapide pour réussir.

     

     


    J'ai une autre raison pour proposer d'utiliser l'avion: Il faut les semer vite parce que s'il les zones vertes de la planète diminuent encore de 3%, toute la terre va mourir. Les gens ne seront pas heureux à cause du manque d'oxygène ! Vous vous sentez heureux au printemps grâce à l'oxygène des plantes. Nous aspirons l'oxygène et expirons le gaz carbonique, et les plantes font l'inverse. Les êtres humains et les plantes n'ont pas seulement des relations de nourriture, mais ils partagent aussi l'air. Ainsi le manque d'oxygène en Somalie n'est pas seulement un problème à cet endroit, mais aussi un problème ici. Tout le monde va ressentir l'épuisement rapide des sols dans ces régions d'Afrique. Cela arrive très vite. Il n'y a pas de temps à perdre. Nous devons faire quelque chose maintenant.


    Les gens en Ethiopie sont heureux avec le vent et la lumière, le feu et l'eau. Pourquoi les gens ont-ils besoin de plus? Notre tâche est de pratiquer l'agriculture à la manière de Dieu. Ce pourrait être un moyen de commencer à sauver ce monde.

     

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    Site de cette image

     


     

    Publication originale dans IN CONTEXT #14, Automne 1986, Page 37 Copyright (c)1986, 1997 by Context Institute

    Traduction française : Michel Dussandier Nov. 1997

    source : http://www.citerre.org/fukuokamct.htm

     

     

    Article pris chez Miche


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