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Un sentiment de « première fois »
Être vraiment dans le regard nous révèle en effet la naissance du monde ; tout apparait pour la première fois. Ce n'est pas là une manière de parler : le monde est vraiment neuf, sans mémoire et sans futur ; il jaillit du néant dans le présent-éternel du voir.
Et avec lui, nous naissons aussi, non pas sans doute notre moi habituel, vieux et chargé de mémoires, mais notre véritable MOI, pur témoin, pure conscience, ouverture neuve et fraiche à la splendeur de l'instant.
Les oeuvres d'art nous initient à ce mystère quand elles sont belles, mais pour qui sait demeurer vigilant, tout nous y ramène soudainement : cette goutte d'eau sur une feuille, cette ombre sur le sol, ce reflet dans le verre, la cheminée qui se découpe sur le ciel.
Se tenir ainsi, sur le seuil des origines, avant que la pensée d'un moi ne nous fasse dévaler dans le temps et la dualité, est une joie et un vertige et un étonnement toujours neufs.
Photo: Alex Kimpe
"Les moments les plus lumineux de ma vie sont ceux où je me contente de voir le monde apparaitre.
Ces moments sont faits de solitude et de silence.
Je suis allongé sur un lit, assis à un bureau ou marchant dans la rue. Je ne pense plus à hier et demain n'existe pas.
Je n'ai plus aucun lien avec personne et personne ne m'est étranger.
Cette expérience est simple. Il n'y a pas à la vouloir. Il suffit de l'accueillir quand elle vient.
Un jour tu t'allonges, tu t'assieds ou tu marches, et tout vient sans peine à ta rencontre, il n'y a plus à choisir, tout ce qui vient porte la marque de l'amour. Peut-être même la solitude et le silence ne sont-ils pas indispensables à la venue de ces moments extrêmement purs.
L'amour seul suffit.
Je ne décris là qu'une expérience pauvre que chacun peut connaître, par exemple dans ces moments où, sans penser à rien, oubliant même qu'on existe, on appuie sa joue contre une vitre froide pour regarder tomber la pluie."
"Mozart et la pluie" de Christian BOBIN
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