Pierre Rabhi
Par Pierre Rabhi le mercredi 17 juillet 2013, 14:15 - Lien permanent
Chronique issue du magazine Kaizen, N°9, juillet-août 2013
Crédits photo : Patrick Lazic www.patricklazic.com
Été 2016
« LA LIBERTÉ INTÉRIEURE EST UN IDÉAL A CONQUÉRIR, QUI NE DÉPEND PAS DE LA SOCIÉTÉ ENVIRONNANTE, MAIS DE SOI » HÉLIE DE SAINT MARC
En tout lieu et en tout temps, des êtres se sont battus pour faire triompher la liberté. « Vivre libre ou mourir » : telle était la fière devise des résistants de la dernière guerre mondiale.
Aujourd’hui encore, dans nos sociétés libres, certains esprits ardents et perspicaces s’acharnent à traquer inlassablement la moindre emprise susceptible d’asservir l’homme jusque dans les mécanismes les plus subtils de nos démocraties.
Cette tendance est moins une clairvoyance d’ordre intellectuel qu’une sensibilité épidermique et comme instinctive. Tout homme pourvu de dignité devrait aiguiser cet instinct comme la trace vivante d’un patrimoine génétique qui rejette toute trace de soumission, et détecte tout stratagème de subversion mentale.
Les diktats de la mode, la domination d’une « pensée unique » , l’emprise terrifiante du conformisme qui finit par s’immiscer dans l’air que l’on respire (que l’on appellera « l’air du temps ») l’idolâtrie de certaines idées ou tendances nouvelles dictés par des modèles de comportements suspects et savamment orchestrés, tout l’arsenal de l’époque devrait nous inciter à une vigilance accrue pour ne pas laisser saborder notre singularité, notre identité même.
Soyez ivres de liberté intérieure, au lieu de vous laisser griser par les breuvages trafiqués de l’époque !
François Garagnon
Imaginez… Aux confins du sud-ouest de la Chine, non loin de la frontière Tibétaine, réside un peuple qui intrigue le reste du monde pour sa vision de l’amour et de la relation intime. Les Mosos sont le dernier peuple matriarcal…
Depuis plus de 800 ans, les Mosos ont les mêmes traditions régissant leur quotidien. Tous les enfants vivent auprès de leur mère. Ils ne quittent jamais la maison familiale, qui se transmet de génération en génération aux filles. Ce sont les femmes qui sont au centre de la vie des Mosos et gèrent le patrimoine de la famille, ce sont elles qui héritent du nom et des biens.
L’harmonie comme principe de vie. Chez ce peuple matriarcal, le mariage n’existe pas. Chacun est libre de vivre sa sexualité comme il l’entend, mais sans la notion d’engagement. Pour eux, le mariage représente une menace à l’harmonie ; une valeur essentielle pour laquelle chacun oeuvre, l’harmonie passant avant toute chose, notamment l’argent. Ainsi, ils estiment qu’être marié revient à se vendre dans une forme d’illusion : les Mosos pensent qu’il est insensé de se promettre la passion éternelle, puisque personne ne sait de quoi demain sera fait.
Aucune promesse, aucune trahison. Les principes économiques d’une famille reposent sur tous les membres qui la composent. Chaque personne a un rôle à jouer, il est donc impensable qu’il quitte le foyer pour un amour qu’il peut de toute manière fréquenter à sa guise. Le fait de refuser le mariage inclut donc une sexualité vécue librement, sans domination entre les sexes et sans fidélité. Lorsqu’une séparation survient, elle se fait dans la douceur et le respect de l’autre. Chacun faisant en sorte que l’harmonie persiste.
L’amour sans tabou. Dès l’âge de 13 ans, les enfants atteignent leur majorité. Les filles obtiennent leur propre chambre et sont donc libres de découvrir le sexe, mais peuvent prendre tout le temps nécessaire jusqu’à ce qu’elles se sentent prêtes à devenir femme. Au début d’une relation elles restent discrètes, car elles ne sont pas forcées de révéler le nom de celui qui escalade la maison et se glisse dans leur chambre, à leur famille. Lorsque l’amour est là, alors le compagnon est accepté au même titre qu’un ami de la famille, il pourra aider dans la maison et s’occuper des enfants de sa bien-aimée, qu’ils soient de lui ou non.
La place de la mère. Les pères biologiques ne sont pas contraints de visiter leur progéniture. Chez les Mosos, ce sont les oncles qui détiennent le rôle de père. Ils traitent leurs neveux et nièces comme nous nous occuperions de nos propres enfants. Pour eux, il est donc primordial que leur soeur ait une descendance. Les oncles ont bien plus de droits que les pères sur leurs enfants. Lorsque la mère de famille décède, c’est sa première fille qui est destinée à la remplacer dans son rôle.
L’art de s’aimer. Chez les Mosos, des rites sont l’occasion de danser et de charmer l’autre, sans se cacher. Personne ne viendra juger le choix d’un partenaire ni la manière de le séduire, souvent pleine de poésie par des regards attentionnés ou quelques chatouilles. Tous les Mosos peuvent profiter librement de leurs passions et aiment concevoir le couple comme une relation basée sur l’amour et le sexe.
http://nous-les-femmes.org/2015/12/17/au-royaume-des-femmes-pas-de-mari-que-des-amants/
Ah, ch'uis provoc!
Par leur soutien, leurs conseils, les amis peuvent être une aide précieuse dans les épreuves de la vie. Mais courir chez eux ou prendre le téléphone chaque fois qu’on a une raison d’être triste, déçu, mécontent, ce n’est pas raisonnable. Même si on se sent un peu mieux après, ce mieux n’est que passager, car on n’a fait aucun véritable travail intérieur pour résoudre les problèmes et, à la première occasion, on retombe dans les mêmes états négatifs. On a donc non seulement empoisonné les autres, mais pour soi-même on n’a rien amélioré.
Quelque chose ou quelqu’un vous a contrarié ? Restez chez vous tranquille, concentrez-vous sur la lumière, priez, chantez, écoutez de la musique… Ou alors, sortez de chez vous et allez marcher dans les rues ou dans la nature, et ne vous présentez pas devant les autres avant de vous sentir capable de leur apporter quelque chose de bon, de constructif. Si vous preniez l’habitude de vous observer, vous constateriez que vous avez plutôt tendance à faire le contraire : quand ça va mal, vous courez chez les uns ou les autres pour leur faire partager vos ennuis, et quand ça va bien, vous n’avez rien à leur raconter. Eh bien, dorénavant pensez à ne partager que de bonnes choses avec votre entourage, votre paix, vos joies : cela contribuera encore à vous alléger, à vous libérer
“Les réseaux sociaux étaient ma drogue dure” par Cyrille de Lasteyrie
Après huit ans à bourlinguer au cœur de l’Internet et des réseaux sociaux, je peux l’affirmer aujourd’hui sans rougir : le temps passé sur le Net est un gigantesque gâchis existentiel. Une fuite, une illusion, une drogue comme le sont l’héroïne ou l’alcool.
Les réseaux sociaux se nourrissent de notre besoin de reconnaissance, d’exister.
Paradoxalement, Internet offre un accès au monde entier, mais peut couper de l’entourage.
Une pratique à haute dose modifie même la structure de la pensée.
Entendons-nous bien, je ne parle pas de l’Internet pratique, celui qui permet de s’informer, de se cultiver rapidement, de réserver un billet de train, d’agir à distance sur ses comptes ou d’acheter ses cadeaux de Noël. Cet Internet-là est aussi salutaire et révolutionnaire que l’invention de l’imprimerie ou de l’eau courante. Non, je parle de l’Internet social, ce monstre difforme et suceur de temps. Ce terrain vague de l’ennui.
J’ai 42 ans. Je suis marié. J’ai deux enfants. Je suis auteur, producteur et animateur d’une émission de télévision. Ces données devraient suffire, normalement, à remplir une vie. Je devrais concentrer 100 % de mes moyens, de mon maigre temps libre, de mes projets, à ceux que j’aime, qui comptent pour moi et qui comptent sur moi. Je devrais.
Mais non, malgré ce tableau, je pense passer plus de six heures par jour sur le Net. Six heures ! Pour être honnête d’ailleurs, ce n’est pas ainsi qu’il faut compter. Car si je ne passais que six heures, additionnées, identifiables, de 7 heures à 10 heures et de 20 heures à 23 heures, ce ne serait pas si grave. Je pourrais contrôler ce temps comme un loisir, le réduire, mieux le dispatcher. Mais le temps du Net est vicieux, impalpable ; il s’immisce dans l’emploi du temps à chaque minute, chaque pensée. Mentalement, je suis en permanence sur les réseaux, tout le temps, partout. Connecté, relié aux autres via mon téléphone, mon ordinateur, mon iPad et même ma télévision ; obsédé par ce qu’il se passe, ce qu’il se dit, je veux en être à tout instant. Je suis de ceux qui doivent savoir et s’exprimer. Mon appétit d’information et de connexion est infini, je dois coûte que coûte participer à cette gigantesque conversation qui se déroule en temps réel, à portée de mobile. J’aime lire les polémiques, les traits d’esprit, les scoops et les révélations. J’aime débusquer les rumeurs, relayer les inepties et offrir en pâture un bon mot. C’est jouissif, ce sentiment d’être membre d’une bande de déconneurs de tous bords qui donnent un goût délicieux à nos journées.
Depuis l’avènement des outils de publication facile (blogs, Facebook, etc), les adeptes des médias sociaux partagent tout. Ce qu’ils lisent, ce qu’ils écoutent, ce qu’ils mangent, ceux qu’ils rencontrent et ce qu’ils se disent. Comme un fil à la patte, une trace de vie, un archivage grand format de leurs faits et gestes. Je dis « ils », mais j’en suis. Devant un étang, je ne respire pas, je photographie et j’envoie sur Facebook. Devant des éléphants au cirque, je ne profite pas, je me moque sur Twitter. Ce que je vis est un prétexte à communiquer. La vie devient un objet, pas une fin en soi. Si je vis un moment exceptionnel, au lieu de le sublimer, je le partage avec le plus grand nombre. Je l’éparpille, façon puzzle.
Moi, moi, moi
Pendant ce temps-là, ma fille réalise un coloriage ; je crois qu’elle m’a parlé. Mon fils construit une tour en Lego qui est certainement très importante pour lui. Ma femme ? Je ne sais pas. J’ai le nez sur mon MacBook et j’attends de voir si l’on parle de moi, si l’on me répond, si l’on a lu l’article que j’ai écrit, si l’on a ri à mes saillies drolatiques. Moi, moi, moi. Comment en suis-je arrivé là ? A démontrer à mes proches, sans le vouloir, que le temps passé sur Twitter ou Facebook a davantage d’intérêt que celui passé avec eux. Quelle est cette magie noire qui me fait oublier l’autre, celui qui est tout près, au profit de l’autre lointain, cet inconnu qui me « like », me suit, me lit, me répond de quelque part dont j’ignore tout ? C’est parfaitement illogique, absurde.
En réalité, cela ne l’est pas tant que ça. Car au fond, ce n’est pas avec des inconnus que je passe mon temps, c’est avec le regard que l’on porte sur moi, c’est avec la dose d’amour que l’on me donne quand on me dit que je suis quelqu’un de bien. A chacune de nos actions digitales, nous recevons un shoot, comme une dose de cocaïne, une portion de reconnaissance, celle que l’on cherche tous. Besoin d’exister aux yeux du plus grand nombre, de se sentir aimé et considéré, quoi de plus naturel ? Comme des millions de connectés, je dépense du crédit temps à exister davantage. Beaucoup de temps à partager, à interagir, à répondre et à relancer, à assurer l’autre de ma présence et de mon amitié. En échange, je demande des commentaires, des réponses, des messages, un certain volume de considération qui me rassure et m’empêche de penser à l’insolente insignifiance de nos existences. Les médias sociaux sont un univers artificiel, celui où l’on est enfin quelqu’un, au milieu de mille vierges offertes et copieusement accessibles en un clic.
Ma pensée fragmentée
Le temps du Net passe aussi vite qu’une partie d’« Angry Birds ». Vous vous octroyez quelques minutes de détente et, sans vous en rendre compte, il est 2 heures du matin. Les yeux rivés sur une lucarne plate, parsemée de « contenus », de sites, de photos, de liens, de mots, d’articles, de vidéos, de dégueulis en tous genres, vous occupez le temps et il s’occupe de vous le faire oublier.
Quelle ironie technologique me permet de butiner dans la même minute un édito d’Attali, une vidéo à mourir de rire et des photos terrifiantes en provenance de Syrie ? Comment gérer ces émotions qui pénètrent en moi par poignées à chaque seconde ? C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que, de façon individuelle et libérée de tout filtre, chacun de nous peut accéder au monde entier, en temps réel et en images. Le cerveau a-t-il été préparé à cette surcharge d’informations et d’émotions ? Quelles vont être les conséquences physiologiques de ce bouleversement ? Je n’en sais rien ; mais je sens que ce n’est pas bon. Mon corps le dit, il le sait.
Cet article en est la preuve. Il m’avait été demandé, à l’origine, de raconter ma vie connectée, celle que je défendais il n’y a pas si longtemps. Sur la page blanche, j’ai commencé, comme un bon soldat, à égrainer les aspects positifs de cette affection digitale. Puis les problèmes de concentration ont ressurgi. Incapacité structurelle à aligner un plan comme je le faisais en hypokhâgne. Je ne pense plus verticalement, mais de façon éparpillée, comme des dizaines de fenêtres qui s’ouvrent et bougent sur le fond d’écran de mon cerveau qui ne sait pas où se poser. Fulgurances inégales, pensée fragmentée en quatre dimensions, je réalise à quel point l’utilisation des médias sociaux a créé un morcellement de la réflexion et, de proche en proche, de la vie émotionnelle et cognitive.
Pour justifier ce temps passé, cet excès de minutes données aux autres, je prétexte la richesse d’une humanité qui communique enfin, d’un monde d’échanges et de partage, d’ouverture à l’humain, d’égalité devant la liberté d’expression. J’ai mille arguments valables et démontrés pour justifier le plaisir de m’enfermer dehors. Mais enfin, quelque chose ne tourne pas rond et tout mon corps le ressent…
Et si le temps que je passais sur le Net était la plus belle perte de temps que l’histoire ait jamais imaginée ? Une drogue supérieure à toute forme d’opium pour le peuple. Car, non content de nous occuper, Internet donne de l’espoir (tout le monde peut connaître son quart d’heure de gloire), un espace défoulatoire (on écoute enfin ce que j’ai à dire), une illusion de pouvoir ou de contre-pouvoir (c’est grâce à la mobilisation générale du Net que la caissière de chez Cora a retrouvé son job), la sensation d’appartenir à une élite (de ceux qui savent) et, par-dessus tout, Internet donne aux oisifs l’impression de s’occuper.
Avant les médias sociaux, le chômeur voyait la journée défiler lentement. J’ai connu ces journées à observer le plafond, allongé sur mon lit, me demandant quoi faire, qui contacter, où aller. Souffrant de me voir exclu du monde où les choses se passent. Mais les réseaux sociaux sont arrivés et la donne a changé. Pas pour l’emploi, mais pour l’illusion de ne plus être exclu. Ils donnent à celui qui y plonge une extraordinaire impression d’en être, comme lorsque, adolescent, vous étiez invité à la boum de Caroline ou de Tristan. En être et agir, participer au flot de mots qui passent et décrivent le monde dans lequel vous ne servez pas à grand-chose, mais avoir au moins l’espace pour le dire. On pense, on chatte, on se raconte ses projets, ses désillusions, ses vacances. On devise sur le tsunami, les gaffes de Morano ou l’incroyable succès de « The Artist ».
Grâce aux réseaux sociaux, on ne regarde plus le plafond, on se regarde le nombril. Le temps file alors à la vitesse du digital et, sans s’en rendre compte, la journée se termine. Au fond de vous, vous ne savez pas très bien à quoi vous avez passé votre journée, mais vous avez conservé le lien social, vous avez communiqué, vous avez partagé quelque chose. Ce sentiment de ne pas rester inactif est à la fois un bienfait inédit et un poison puissant. Bienfait car il sauve des millions d’âmes de la solitude ; poison parce qu’il les berce d’illusions. Communiquer n’est pas travailler. Echanger des points de vue n’est pas écrire. Bloguer n’est pas gagner sa vie. Internet, c’est comme le monde réel, mais sans la validation des acquis. On peut rester connecté des dizaines d’heures, nourrir la sensation de « faire quelque chose » : le résultat est que le rouleau compresseur avance et que l’on n’a pas bougé d’un pouce.
Il y a quelques mois, je suis parti m’isoler une semaine dans une abbaye trappiste de l’Allier, me couper des réseaux. Une expérience aux limites de mon addiction, un sevrage spirituel pour l’athée technophile que je suis (voir CLES n° 74). Une fois rentré, j’ai replongé comme un seul homme. Modifié de l’intérieur, je n’ai pas vu que la graine de cette déconnexion allait pourtant, peu à peu, semer le doute, ouvrir mes yeux, reconnecter quelques synapses, celles du bon sens.
On ne peut pas vivre pleinement avec les yeux rivés sur soi. L’écran fait écran, il est un rideau de fumée. L’essentiel est dehors, dans les parfums et les couleurs, dans les regards, les mains qui se serrent, la texture des écorces et le chant des vagues. Cliché ? Sans doute. Mais que cela fait du bien quand, soudainement, on referme l’ordinateur et que l’on se redresse. Impression d’ôter ses chaînes et de chercher l’oxygène. Je le re-découvre. A mon âge, est-ce bien raisonnable ?
Une ruelle dangereuse
Certains vont sourire à la lecture de cette révélation, mais pour ma part, elle m’inquiète. Car ce mode de vie, cette plongée dans le digital, est à peu de chose près le monde vers lequel mes enfants courent. Un monde numérique, mobile, parsemé d’écrans transparents, de reconnaissance vocale, de disponibilité immédiate de l’information et des services, d’échanges de messages courts et pratiques. Je ne veux pas les laisser seuls dans cette ruelle numérique ; j’en reviens, c’est dangereux.
Ma critique des réseaux sociaux est, bien sûr, une critique de l’excès de réseaux sociaux. Je m’y amuse, c’est un terrain de jeu et d’expérimentation exceptionnel. Mais je suis inquiet car l’addiction est puissante. Les médias sociaux sont une drogue dure, violente, parce qu’ils se nourrissent du plus solide moteur de nos êtres : le besoin de reconnaissance. Je sais que chaque génération s’inquiète des progrès technologiques et de la façon dont ses enfants vont l’aborder. Mais là, j’en suis. Ce n’est pas comme si je ne savais pas. Ce n’est pas une technique que mes enfants vont m’apprendre en ricanant. Non, c’est le contraire. C’est une technologie que j’ai contribué à installer, comme des millions d’entre vous, et qui va peut-être creuser le lit de leur apathie, de leur illusion d’exister, de leur égocentrisme.
Comme tous les parents, j’ai peur que mes enfants se droguent.
Je ne me sens vraiment pas courageuse d’annoncer cela, tellement l’évidence est énorme : Non, je ne suis pas allée voter. Je trouve d’ailleurs très amusant ces slogans qui continuent à paraitre : « Ils se sont battus, alors aux urnes citoyens! ». Sans blague ?
Regardons comment va le monde depuis que nous avons ce fameux droit. De plus en plus idyllique n’est ce pas ? Nous sommes sept milliards d’hommes sur cette terre et une poignée nous fait croire qu’en allant mettre un bout de papier dans une boite, nous allons être heureux et tout le monde aura de quoi manger.
Certains répondront : « Ah mais il y a des partis très dangereux qu’il ne faut pas laisser passer ».
Hé hé, parce que les autres partis sont comment ?
« Le changement c’est maintenant ». Effectivement, ça a bien changé puisque le constat est qu’il y a de plus en plus de gens dans la misère, que les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour la plupart, que nous payons de plus en plus de taxes et que la terre est à l’asphyxie.
La sécurité, parlons-en :
D’un côté, des programmes TV de violence et à des fin consuméristes sont présents en permanence et de l’autre côté des caméras de surveillance pour lutter contre l’insécurité. C’est aussi logique que d’envoyer un loup dans une bergerie pour ensuite mettre un berger pour tuer le loup.
Créer de l’insécurité pour justifier des politiques sécuritaires est un excellent moyen de maintenir des populations au garde à vous. Faire tenir par la peur, c’est le contrôle le plus pervers mais qui fonctionne à merveille.
La liberté que nous avons-nous reste celle de consommer. D’ailleurs l’angoisse générale étant de plus en plus palpable, se réfugier dans les magasins est un excellent moyen de faire baisser la pression. Alors refaire la déco de sa maison tous les deux ans pour être «dans l' coup», consommer des aliments de toutes sortes qui ne nourrissent pas mais qui endorment les émotions, prendre des médicaments, se rabaisser devant son chef de service,… c’est ce qu’on appelle être libre.
Consommer enrichit les industriels et les banques, qui ceux-ci financent les campagnes électorales….et le bulletin est joué !
De temps en temps, c’est bien de faire des campagnes de prévention pour toutes ces maladies, quitte d’ailleurs à inventer des vaccins, ou pourquoi pas un Sommet Mondial sur le Développement Durable. On s’occupe de votre bien-être n’est-ce pas ?
Tout doucement les consciences s'ouvrent. Nous sommes de plus en plus nombreux à dire non à la torture en boite. Un tiers des français aujourd'hui refuse d'acheter du foie gras, la moitié sont favorables à une interdiction du gavage.
Mon petit mot: alors que Noël est sensé célébrer la vie, nous retrouvons sur nos tables beaucoup de cadavres d'animaux dont nous n'avons pas conscience (ou bien nous préférons fermer les yeux) de ce qu'ils ont vécu depuis leur conception avant d'arriver dans nos assiettes.
Ce matin, j'entendais à la radio les méthodes pour se soulager de nos abus alimentaires en cette fin d'année. Nous sommes malades de trop consommer alors que tant n'ont rien.
Ce n'est être ni moraliste, ni rabat-joie que de remplir nos assiettes d'alimentation saine, vivante et de toutes les couleurs.
Le concept contemporain des vacances est un phénomène assez nouveau, qui va de pair avec la modernité. Le travail mobilise autant qu’il immobilise, de façon très institutionnalisée, contre rétribution. Il engendre le besoin d’un espace où l’individu peut se retirer momentanément, prendre du temps pour lui-même. La plupart des civilisations antérieures, souvent agraires ou nomades, ne connaissaient pas cette notion. Je n’en ai par exemple jamais entendu parler durant mon enfance, jusqu’à la découverte de mines houillères dans nos terres ; les Français sont alors venus les exploiter, embauchant du personnel et instaurant en même temps que ce type de travail de brèves périodes de vacances. Auparavant notre vie était cadencée par le travail de la terre, qui alterne les périodes d’activité avec les saisons dites « mortes ». L’hiver, saison où l’on ne peut agir, il n’y avait pas de travaux des champs, les phases de repos étaient déterminées par la nature et non par une organisation sociale particulière.
Mais peut-on légitimement considérer les vacances comme un temps vraiment libéré ou bien encore soumis à des comportements prédéterminés par des attitudes collectives standardisées ? Il faut bien admettre que là aussi le profit règne. Quand les vacanciers vont passer un séjour à l’étranger ils deviennent des touristes actifs et alimentent ainsi l’économie du pays. A contrario, les troubles actuels dans les pays du Maghreb ont fait reculer le tourisme et l’on constate déjà le sérieux déséquilibre financier que cela induit. L’importance attribuée au tourisme dans ces pays les a d’ailleurs affaiblis, cette politique menée par leurs gouvernants est regrettable dans la mesure où elle les rend dépendants de l’extérieur au lieu de les inciter à cultiver leurs propres ressources naturelles. Ce type de dépendance se paye malheureusement très cher, lorsque des troubles graves affectent les nations.
Le temps libre est bel et bien transformé en temps économique, il n’est plus consacré à la méditation, à l’épanouissement de l’esprit, au fait de se retrouver soi-même. Une vie de labeur ponctuée de quelques pauses pour faire des glissades sur la neige ou quelques bains de mer. Les vacances comme parenthèses dans un temps de travail parfois excessif sont-elles suffisantes pour régénérer notre être profond ? Cette question ne vient pas remettre en cause les activités nécessaires à notre survie mais interroge la répartition du temps dédié à l’avoir par rapport à celui qui concerne l’être. Selon les cadences millénaires auxquelles se sont adaptées les civilisations, c’est aux beaux jours d’été que la nature est en effervescence, l’hiver elle entre en dormance ; aujourd’hui les vacances estivales induisent plutôt une cessation du travail. L’administration du repos en fonction de l’économie et non selon les rythmes naturels de la terre et de ceux l’espèce humaine est complètement artificielle, c’est une sorte d’anomalie. Le véritable repos est plus harmonieux : la nature, les animaux, les sols et l’homme devraient goûter ce répit à l’unisson, c’est un temps d’inspiration très puissant où puiser des ressources vitales avant de reprendre une activité.
Pierre Rabhi
Par Pierre Rabhi le mercredi 17 juillet 2013, 14:15 - Lien permanent
Chronique issue du magazine Kaizen, N°9, juillet-août 2013
Crédits photo : Patrick Lazic www.patricklazic.com