Les observateurs superficiels du Yoga disent, quelquefois, que c'est une méthode pour se
«moquer de tout » pour, déserter l'urgence de la réalité. Au fond, la sérénité naturelle des yogins les agace, parce que yoginis et yogins, sont des consommateurs prudents et
clairvoyants.
Ils ignorent ou ils redoutent son contenu, sa substance. Les marchands de
prêt-à-porter n'aiment pas que fassiez vos robes vous-même. Les marchands s'offusquent, quand vous discutez l’ opportunité de leurs productions. Quant aux marchands de règlements, ils vous disent
crûment : « Signez là! De toute façon, vous n’avez pas le temps de lire et vous n'y comprendriez rien..... »
Le philosophe Hermann Hesse a résumé, en trois verbes, la nature de cette Sérénité : «Je puis
sourire, je puis méditer, je puis attendre.»
Faites pour attendre un enfant, pour attendre qu'il grandisse, pour attendre le compagnon, à la
poursuite de nourriture, les femmes sont beaucoup moins impatientes, que les hommes. Elles sont, au départ, à mi-chemin de la sérénité.
Il est certain que Pénélope, recommençant le jour ce qu'elle a défait la nuit, ne s'ennuie pas
: sans cela, elle accepterait le premier prétendant venu. Une autre figure, légendaire exprime cette disposition naturelle au calme : Solweig, fiancée de l'aventurier norvégien Peer Gynt,
chante sa sérénité, en l'attendant très longtemps, et cette sérénité n'est pas une résignation frustrée.
Pour y parvenir, pour l'entretenir, le Yoga conseille une attitude mentale particulière,
souvent définie sous le titre de karma-Yoga. Vous pouvez le traduire par : la maîtrise de la perception des faits.
Quand vous écoutez la radio, quand vous lisez le journal quand vous participez à une
conversation sur un sujet général, n'en retenez pas trop à la fois : ne sautez d'une idée à l'autre, sans enchaînement. L'actualité, manipulée par les marchands d'informations, est une indigeste
macédoine, un tourbillon vertigineux d'idées superflues et contradictoires.
Comme les drogues du « bonheur » pour votre organisme, les nouvelles précipitent les
chocs mentaux inverses: attendrissement sur un désastre, colère sur un attentat, pitié pour les sous-développés, fureur cocardière contre leurs chefs. «Massacrez le kidnappeur du jour, grâciez
le condamné à mort de l'avant-veille.... »
Une yogini ne se charge jamais de problèmes où elle ne peut pas intervenir, surtout de ceux qui
sont posés par l’inintelligence collective. Ils ne font pas partie de son karma, de sa zone d'activité. Elle se réserve pour agir sur les détresses, dans son entourage. Elle le fait, sans aucun
calcul, à son temps. Elle se méfie de la bienfaisance industrialisée.
La charité directe a un effet précis sur la santé. Tout se passe comme si le réseau capillaire
fin du cerveau se nettoyait et s'assouplissait, lorsque la conscience d'agir marche de pair avec la «tendance morale» profonde de l'inconscient. Selon de très grands spécialistes, comme le
professeur Baruch, l'humanité actuelle souffre et s'use en conflits, des remords, refoulés dans l'inconscient, au cours de vies individuelles parsemées de petites lâchetés, petites fraudes
admises et, parfois, de malhonnêtetés commerciales ou sentimentales.
Dans ce sens, la confession abaisse la tension artérielle, diminue le taux de
cholestérol et réduit les scléroses. Les êtres «lourds d'un secret » se portent mal. Mais comme vous ne savez jamais, dans la jungle des lois, on peut vous entraîner l'aveu public,
contentez-vous d'examens de conscience bien faits et fréquents.
D'ailleurs, le Yoga est un remarquable bouclier contre le goût des actions frauduleuses : vous
ne les commettez plus, non parce que « c'est mal » mais simplement parce que vous n'en avez plus envie. Si là-dessus, vous faites bien avec plaisir, votre sérénité est atteinte aux neuf
dixièmes : vous en êtes déjà au contentement de soi.
Quoi faire, dites-vous, à l'écart des « informations », modes, des goûts « du
jour » et des choses dont « on parle » ? Développez, sans cesse, vos tendances artistiques et artisanales personnelles, même si vos œuvres ne sont pas très réussies, au début. C'est une
soupape permanente, bien yogini, qui ne vous décevra jamais. Si vous ne cherchez pas à vendre ou à être célèbre.
Mais, dans ces deux derniers cas, vous ne seriez encore sereine...
Le dernier dixième de votre sérénité, vous le découvrirez, seule. Il n'est plus dans des faits
ou dans des idées précises, et il dépasse les mots : c'est un climat, pur et personnel.
La porte qui ouvre vers lui est en vous. Elle ne s’ouvre pas à dates fixes. Elle ne reste
jamais béante. Refermée, vous savez, cependant, qu'elle existe et ce qu'il y a derrière. Vous avez trouvé un sens à votre vie, mais vous avez aussi perçu que la Vie, en soi, pouvait avoir un
sens, au delà du fatras de cruautés gratuites et de contradictions qu'elle accumule, dans ces temps « modernes ».
Cette étape ultime, de vous en vous, rejoint les expériences mystiques les plus profondes. Au
vrai, elle n'en est qu'un autre aspect, plus accessible, mais tout aussi intransmissible d'individu à individu. Est-elle efficace ? Vue du dehors, un fait la domine : aucune violence, aucun
drame, aucun fanatisme ne naît chez les yogins.
Ils parlent peu, et seulement si on les interroge. Ils suggèrent, mais n'ordonnent pas leurs
conceptions. Ils ne prennent pas parti, sauf contre la violence. Au sens de Jean-Paul Sartre, ils ne s'engagent pas.
La sérénité définitive vous demande une dernière réserve. La pleine perception de votre Karma,
de cette suite d'événements qui forme votre propre vie courante, exclut que vous les repensiez, selon un agencement différent.
Il est dangereux et vide de sens (avyakrtam en hindou) de vous concentrer sur les conséquences
d'un détail qui n'a pas eu lieu ou qui aurait pu avoir lieu.
Dire : « et si, ce matin-là, je n'avais pas rencontré Jacques, à l'arrêt du car...»,
c'est une chasse aux fantômes de faits, essentiellement nuisible. Vous avez rencontré Jacques : tout le reste est fumée.
Ne cédez pas, même « pour rire », au jeu intellectuel que la science-fiction multiplie depuis
peu : ne vous promenez pas dans les univers parallèles. Un seul vous suffit : le votre.
Il est déjà assez délicat de pouvoir y être heureux et pour ne pas perdre son
temps.
"Yoga pour elle" Edouart Longue